Jean Alain Goudiaby, Sociologue: « Dans la crise actuelle de la Covid-19, l’enseignement à distance ne peut ni être décrété ni être un palliatif »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Série Covid-19 – Focus Ziguinchor

Jean Alain Goudiaby

Jean Alain Goudiaby est sociologue, enseignant-chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor. Ses travaux portent essentiellement sur les politiques éducatives au Sénégal. Il est le directeur de la pédagogie et des réformes universitaires de son institution et membre du Laboratoire de recherche en sciences économiques et sociales (LARSES).

Cet entretien fait partie de la série de podcasts de WATHI sur la crise de la Covid-19 dans les régions du Sénégal.

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Extraits

En avril dernier, au cœur de la pandémie, l’Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ) avait fait l’actualité avec la production et la distribution de gel hydro alcoolique pour participer à la lutte contre le coronavirus. Y-a-t-il d’autres exemples qui montrent comment la crise a réorienté les activités académiques et extra-académiques au sein de l’Université?

Je pense que oui. Il y a une forme de réorientation qui est liée aux projets de recherche. C’est à dire qu’avec la pandémie liée à la Covid-19, il y a pas mal de collègues qui se sont mis à réfléchir sur les conséquences du coronavirus à la fois du point de vue économique mais également celui du droit, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’agriculture. Je sais qu’il y a des collègues qui travaillent sur ces sujets en ce moment. Cette pandémie crée de nouveaux besoins de connaissances puisque c’est inédit. Cela oriente d’une certaine manière l’activité scientifique dans la production de connaissances. Il y a aussi des publications qui se font dans ce domaine-là.

Aujourd’hui, avec la crise, quelles sont les inquiétudes et les espoirs des enseignants et des étudiants de l’UASZ?

Plus particulièrement à Ziguinchor, la grosse inquiétude est liée à la continuité des activités pédagogiques puisqu’avant même la crise, l’Université Assane Seck connaissait déjà des difficultés dans la continuité des enseignements et apprentissages. Cette pandémie vient mettre à rude épreuve un système qui était déjà fragile et, de ce point de vue, je pense que la grosse inquiétude des enseignants et des étudiants se résume en une question : va-t-on s’acheminer vers une année blanche ? C’est une hypothèse qui est fort possible. Cela est effectivement lié au coronavirus.

En termes d’espoirs, je dirai que cela montre peut être un potentiel de recherche que l’université devrait pouvoir mettre en avant avec la crise. On se rend compte de plus en plus que l’université dispose de ressources en termes de recherche qui, peut-être, ne sont pas suffisamment valorisées, ne sont pas suffisamment mises en avant. Je pense que cela peut être quelque chose de positif.

Le dernier élément positif , c’est qu’à l’université ASZ, depuis quatre ans, on a initié une émission radiophonique qui s’appelle « l’Université a du talent ». Avec le coronavirus, on a eu plusieurs émissions où on a eu des collègues qui sont venus, chacun dans son domaine de compétences et de connaissances, expliquer en quoi cette situation que nous vivons au Sénégal peut avoir des effets sur la société, sur l’économie et sur la santé, etc. Cela donne, de mon point de vue, plus de poids à ce genre d’initiatives de valorisation des connaissances. L’émission « l’Université a du talent » a véritablement sa place sur l’échiquier national et local.

A Ziguinchor, quelles sont les synergies qui existent entre la recherche et les politiques publiques pour faire face à la crise? Peut-on les développer davantage?

J’avoue ne pas être au courant de beaucoup d’initiatives pris dans ce sens à part ce que j’ai pu constater autour de la production de gel. Une fois cette production faite, le rectorat l’a donnée aux autorités pour une distribution aux populations les plus vulnérables. Je ne connais pas véritablement de synergie de recherche à l’œuvre. Sinon, il y a des sollicitations des institutions publiques. J’ai en tête le ministère de l’Éducation nationale pour qui on va sans doute travailler à accompagner le dispositif de riposte du ministère. A part cette initiative, je n’en connais pas des masses.

On se rend compte de plus en plus que l’université dispose de ressources en termes de recherche qui, peut-être, ne sont pas suffisamment valorisées

Mais ce que cela pose comme question, c’est que la recherche n’est pas suffisamment exploitée en termes d’application ou en termes d’applicabilité. C’est à dire que les chercheurs font leurs recherches, qui peuvent être de très bonne qualité d’ailleurs, et le politique ne se saisit pas forcément des indicateurs produits ou des résultats de la recherche.

Mais aussi, les chercheurs ne font sans doute pas l’effort suffisant pour mettre leurs recherches à la disposition des politiques ou des décideurs.  C’est une vieille question de l’université sénégalaise mais aussi de l’université en général j’ai envie de dire. C’est un travail à continuer à faire et les questions posées par la pandémie nous invitent à travailler davantage à assurer cette synergie entre la recherche et le monde politique ou les politiques publiques. Si on veut avoir des politiques publiques solides, elles ont besoin de connaissances. Ces connaissances peuvent être produites évidemment à l’université.

Quelles sont les faiblesses et les forces de l’université sénégalaise que cette crise a mises en avant? Quelles en sont les manifestations à l’UASZ?

Une des faiblesses, c’est la crise ou les crises récurrentes de l’université sénégalaise. Je disais tantôt que la crise du coronavirus est arrivée au moment où l’université de Ziguinchor connaissait déjà une crise. Alors cela montre qu’on est dans des systèmes très fragiles. L’université sénégalaise est fragile de ce point de vue. Il y a des crises récurrentes, il y a des problèmes de gouvernance, des problèmes d’anticipation, des problèmes de qualité de la formation et de la recherche qui viennent, d’une certaine manière, court-circuiter la qualité de l’enseignement supérieur ou des universités.

Les chercheurs font leurs recherches, qui peuvent être de très bonne qualité d’ailleurs, et le politique ne se saisit pas forcément des indicateurs produits

Quelles en sont aujourd’hui les manifestations ? Ce sont des années académiques qui ont du mal à finir ou, parfois, une année même qui a eu du mal à démarrer. Aujourd’hui, on se pose sérieusement la question d’une année blanche à l’Université Assane Seck de Ziguinchor.

Donc, la crise de la Covid-19 vient montrer encore une fois une faiblesse déjà présente dans le système d’organisation de l’enseignement supérieur. La qualité peut parfois faire défaut. Pas tant parce que les gens ne sont pas suffisamment bons, mais parce que les conditions dans lesquelles les enseignements et la recherche se font, ne sont pas forcément les conditions les meilleures pour pouvoir être tout le temps au top de la recherche et de l’enseignement.

La Covid-19 a entrainé des bouleversements ces derniers mois au Sénégal,  à quelles transformations devrait-on s’attendre dans les universités sénégalaises de manière générale et à l’Université de Ziguinchor en particulier?

Il est clair que la transformation de la société entraîne inéluctablement la transformation de l’université. Ceci pour une raison très simple, c’est que l’université et la société sont complètement liées. Il n’y a pas de différence significative entre la société et l’université qui se trouve en son sein. De ce point de vue, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait effectivement des transformations qui sont le fruit de la crise sanitaire que nous connaissons. Il faut espérer que ce soit des transformations positives.

On a vu, avec cette crise, le besoin de connaissances, le besoin de recherche. La preuve : malgré les connaissances scientifiques disponibles à l’échelle mondiale, on n’a pas su assez rapidement trouver un remède contre la maladie. Et encore, on est en train de chercher un vaccin contre cette pandémie. Alors, cela voudrait dire qu’il est peut-être temps de continuer à financer la recherche et de considérer qu’elle est un élément important pour faire face aux changements futurs.

Si l’étudiant n’a pas un espace à lui pour pouvoir étudier, si l’étudiant n’est pas suffisamment autonome pour pouvoir se dégager du temps et de l’espace pour étudier, si l’étudiant est dans des contraintes d’ordre social, ou quand il est à la maison, on considère qu’il n’est pas en train d’apprendre, cela peut poser de réels problèmes

Au Sénégal, le budget qui est consacré à la recherche qui est extrêmement faible. Dans beaucoup des pays sous-développés, on a moins de 1% du PIB qui est consacré à la recherche qu’elle soit fondamentale ou qu’elle soit appliquée. De ce point de vue, il me semble qu’il faudrait financer plus de programmes de recherche, et ceci dans plusieurs secteurs. Cela nous permet non seulement de pouvoir anticiper sur les difficultés et les problèmes, mais aussi de pouvoir faire face aux problèmes quand ces derniers se posent à nos sociétés.

Donc, comme changement positif à entreprendre, je verrai bien le renforcement de la recherche et la transversalité de la recherche. On se rend compte que les questions que pose aujourd’hui la Covid-19 ne sont pas que des questions de santé, elles sont d’ordre societal, économique, environnemental et que finalement, pour saisir une problématique particulière de développement, il nous faut conjuguer la diversité des spécialités pour y faire face.

L’enseignement à distance est-il une opportunité réalisable à Ziguinchor? Quels en sont les défis?

Une opportunité, pourquoi pas? Il faut dire que l’enseignement à distance est une réalité aujourd’hui et dans certaines conditions, il est en capacité de produire une formation de qualité. Mais, il y a un gros mais: c’est qu’il y a plusieurs préalables. L’un des préalables, c’est que les enseignants qui sont ceux qui doivent repenser la formation, qui doivent la « scénariser », puissent avoir des capacités en didactique tournées vers le numérique. C’est-à-dire qu’ils soient en capacité de pouvoir concevoir un cours à distance, de pouvoir concevoir et accompagner un dispositif de formation à distance.

Le Sénégal a un pourcentage qui est consacré à la recherche qui est extrêmement faible. Dans beaucoup des pays sous-développés, on a moins de 1% du PIB qui est consacré à la recherche qu’elle soit fondamentale ou qu’elle soit appliquée

Le deuxième défi est qu’il faudrait que les apprenants puissent être sensibilisés, formés,  et avoir la capacité aussi à pouvoir recevoir les enseignements à distance. C’est une grosse question qui est aussi liée à la « capabilité » de ces apprenants voire leurs dispositifs socio-cognitifs qui leur permettent ou non de pouvoir être suffisamment autonomes pour pouvoir apprendre par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication.

Le troisième défi, non des moindres, c’est tout ce qui va être de l’ordre des équipements, des ordinateurs, des tablettes ou des téléphones portables, de la connectivité qui reste encore très chère au Sénégal. Dans certains endroits, cette connectivité est complètement absente.  C’est un troisième défi important qui est d’ordre technique avec  des outils qui permettent que cette formation puisse se dérouler convenablement.

Le quatrième défi, me semble-t-il, c’est la concurrence des emplois du temps entre l’apprendre à la maison et les dispositifs d’enseignement à distance. C’est à dire que si l’étudiant n’a pas un espace à lui pour pouvoir étudier, si l’étudiant n’est pas suffisamment autonome pour pouvoir se dégager du temps et de l’espace pour étudier, si l’étudiant est dans des contraintes d’ordre social, ou quand il est à la maison, on considère qu’il n’est pas en train d’apprendre, cela peut poser de réels problèmes. C’est à dire que la formation à distance ne peut pas se décréter. Et à mon sens, elle ne peut pas être un palliatif. On ne peut pas la penser comme étant quelque chose qui viendrait résoudre un problème immédiat. Je pense qu’il faut la concevoir dans un dispositif global, la penser, la réfléchir et trouver comment on doit pouvoir l’opérationnaliser. Mais pas attendre qu’il y ait une crise pour dire qu’on va tous faire de l’enseignement à distance. Je pense que c’est une utopie.

 


Source photo : Watu Digital Lab & Sunu Nataal

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