« La commune de Bargny est devenue une zone où l’espérance de vie baisse » Mandoye Beun Ndoye, Conseiller municipal à la mairie de Bargny

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Extraits

Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à vous engager en politique ?

Je suis né dans une famille politique. Mais au-delà de cela, car appartenir à une famille politique ne prédestine pas quelqu’un à être intéressé par la politique, je suis témoin du fait que ma communauté, Bargny, subit de nombreuses injustices. Cela justifie davantage mon engagement en politique.

Ce n’est pas seulement à Bargny. Beaucoup de personnes participent à l’édification d’un Sénégal debout. Nous avons la mission d’en faire partie en tant que jeunes intellectuels. Nous avons rejoint les mouvements politiques dans le seul but de voir le Sénégal sur les rails du développement.

Comment analysez-vous les activités économiques à Bargny ?

Les activités économiques à Bargny ont été sacrifiées. L’activité économique de Bargny tournait autour de deux piliers phares : la terre et la mer. Lorsque la mer ne rapportait pas beaucoup, la terre la suppléait.

Il y avait beaucoup de poissons en mer. Les peuples de l’eau, comme nous les lébous, allaient pêcher pour consommer, vendre ou épargner. Maintenant ce n’est plus le cas. Nos pêcheurs font six à neuf mois en mer sans avoir de poissons.

Quelle en est la cause ?

Les contrats de pêche ont pris trop de place ici. On a vendu la mer sans le dire.

Pour nous qui avons toujours vécu au bord de l’eau, il est clair qu’il y a quelque chose qui ne va pas lorsqu’on compare l’état actuel de la pêche avec ce que nous avons connu avant. La conséquence est qu’il y a une psychose qui commence à se créer dans la tête des lébous.

Il fut un moment où on pouvait aller 2, 3, 4 jours en mer sans avoir de poissons. Mais de nos jours, on peut rester des mois sans voir ne serait-ce que des alevins. Les poissons continuent de se reproduire. Mais on ne voit rien car l’essentiel des bateaux de pêche sont en train de piller nos ressources.

Ce n’est plus une question d’économie mais c’est une question d’indépendance. La mer est possédée par des puissances étrangères. Par conséquent, deux problèmes s’en suivent.

Les contrats de pêche ont pris trop de place ici. On a vendu la mer sans le dire

D’abord l’immigration clandestine des jeunes, ensuite, le fait que les populations ne peuvent plus vivre dignement. Bargny est malade. Les habitants n’ont plus de poissons et l’érosion côtière emporte leurs maisons. Comprends-tu ce que cela fait ?

Qu’est-ce que cela fait ? Vous parliez aussi d’une psychose qui se développe au sein de la population. Qu’est ce qui la nourrit ?

Cette psychose est nourrie par le fait que les gens ont une seule source de revenus. L’entreprise de ta famille, c’est sa pirogue. Elle va en mer, pêche et ramène des poissons qu’elle apporte dans les chaines de transformation. Les femmes vendent le poisson ou elles le brûlent pour faire du ketiakh (poisson fumé). Même lorsqu’il n’y a pas de poissons, celles qui l’avaient transformé et conservé sous forme de ketiakh peuvent continuer à vendre des produits. Mais le ketiakh commence à se faire rare.

Il y a eu des moments où on trouvait du poisson partout à Bargny. Si ces moments duraient un mois auparavant, maintenant ils durent deux jours. La mer emporte les maisons de ces personnes qui n’avaient d’autre espoir que d’aller en mer et pêcher pour vivre. Ils n’ont ni de quoi se nourrir ni où loger. C’est cela qui cause l’immigration clandestine. Les pêcheurs sont les premiers auxquels les migrants pensent lorsqu’ils veulent aller en mer. La plupart des migrants clandestins qui réussissent le voyage sont des pêcheurs. Ils pratiquent la mer.

Ils partent mais en réalité, ils sont déjà morts. Il n’y a pas pire mort que de vivre avec sa famille et de ne pouvoir pas satisfaire à leurs besoins. Ceux qui sont responsables de cette situation vivent dans des conditions plus que normales. Ils ont tout, et nous, la banque nous met la pression pour les prêts que nous n’avons pas remboursés. Un humain ne peut pas supporter cela. A force de pression, prendre une pirogue pour immigrer clandestinement devient une option facile à choisir. C’est banal.

C’est la raison pour laquelle dans certaines zones, les pêcheurs vendent leurs lits, leurs armoires, etc. Dans leurs chambres, ils ne laissent que leurs femmes et leurs enfants. Tout cela pour collecter les frais de transport pour tenter l’immigration par la pirogue.

Récemment, une maladie a fait son apparition au Sénégal, dans les communautés côtières précisément, de Ndar à Popenguine. Cette maladie a-t-elle fait son apparition à Bargny ? 

J’ai ouï dire que la maladie est présente à Bargny. Même si elle n’y est pas, je constate que ce sont mes compatriotes lébous qui sont affectés ailleurs. Et cela leur est arrivé en mer.

Les pêcheurs sont les premiers auxquels les migrants pensent lorsqu’ils veulent aller en mer. La plupart des migrants clandestins qui réussissent le voyage sont des pêcheurs

Nous devrions utiliser nos esprits et réfléchir. Depuis plusieurs années, nos parents sont en mer sans ramener de maladie. Aujourd’hui, cette maladie arrive dans un contexte où le monde entier est bousculé par la Covid-19, et l’immigration clandestine reprend de plus belle. Qui, pensez-vous, est sacrifié en premier au Sénégal ?

Ce sont les pêcheurs. Ce sont les lébous. Ils sont utilisés comme de la chair à canon. Et cela peut engendrer plusieurs conséquences. Si je reviens à l’exemple de Bargny, les gens risquent d’utiliser l’argent gagné de la vente des poissons pour soigner cette maladie. La situation ne sera-t-elle pas pire ? En fin de compte, nous sommes perdus. Nous sommes perdus et nous avons tout perdu. Nous sommes sacrifiés.

Tout cela montre le type de dirigeants que nous avons. Des personnes qui, au lieu de penser à la population, pensent à leurs propres intérêts. L’apparition de cette maladie aurait dû provoquer des plaintes partout au Sénégal, car tout le monde mange du poisson dans ce pays. C’est une question qui mérite l’attention de l’État qui doit très rapidement prendre des dispositions à cet effet. Je n’interpelle pas la mairie, je parle de l’État.

Comment le conseil municipal, dont vous faites partie, analyse cette situation ?

En tant que conseiller municipal, nous avons la parole lorsqu’une réunion de conseil municipal est organisée. Alors on recueille nos propos. J’ai entendu dire que le maire a reçu certaines personnes à propos de la maladie mais ce n’est pas le conseil municipal parce que nous n’avons pas tenu de réunion à ce propos. Peut-être qu’il nous en dira plus à la prochaine réunion municipale.

Ils partent mais en réalité, ils sont déjà morts. Il n’y a pas pire mort que de vivre avec sa famille et de ne pouvoir pas satisfaire à leurs besoins

Vous avez parlé de la crise des deux pôles d’activités économiques à Bargny. Celui lié à la mer et l’autre lié à la terre. Que pouvez-vous nous dire des activités économiques liées à la terre ?

Une centrale à charbon est installée à Bargny. Ils veulent rajouter un port minéralier et vraquier. Imaginez les conséquences drastiques que cela aura. L’État n’est pas logique dans ses actions. Pourquoi créer un port et un quai de pêche au même endroit ? Qu’est-ce qui alimente un quai de pêche ? C’est la mer. Mais quand la mer est polluée, le produit va disparaitre forcément. Je ne vois aucune cohérence dans la gouvernance.

Il y a aussi l’usine Tosyali qui arrive et qui va faire disparaitre, non seulement les activités de la terre, mais aussi celles de la mer. Il y a la Sococim à côté qui pollue aussi. De plus, les terres de Bargny ont été récupérées par l’État pour l’inclure dans le domaine du pôle urbain de Diamniadio. Leur objectif, c’est de faire disparaitre Bargny. Il y a des gens, au Sénégal, qui veulent former une catégorie spéciale et créer un bas peuple. Ils ont ciblé certaines villes qui vont abriter leur économie.

Je ne vois pas pourquoi du fer qui est produit au Falémé doit être transporté jusqu’à Bargny pour être traité. Ils vont déplacer des populations ainsi que les femmes transformatrices de produits. Toutes ces femmes qui travaillent pour nourrir leurs familles devront quitter la zone réservée à Tosyali. Au cœur de Bargny, les gens sentiront la pollution de l’usine de fer. Plus celle de la Sococim. On transforme cette zone en une partie où l’espérance de vie baisse. Qu’est-ce que cela signifie ? On va vers la mort.

De plus, l’implantation du port va forcément entrainer l’intensification des activités de la Sococim car celle-ci importe ses produits. Tout cela, plus l’érosion côtière, le pôle urbain qui a pris nos terres… Comment Bargny fera-t-il pour respirer ? Bargny est étouffé.

Comment les habitants de Bargny peuvent-ils réagir face à cette situation ?

Par la lutte ! Et nous lutterons.

De quelle manière comptez-vous lutter ?

Je suis membre du conseil municipal mais je suis aussi membre du collectif « Bargny dit non à Tosyali ». Nous lutterons contre toute forme d’agression présente à Bargny. Nous sommes en train de concocter des plans pour faire face à l’État du Sénégal car c’est l’État du Sénégal qui a décidé de rendre Bargny tel qu’il est. Bientôt nous commencerons la lutte, et ce sera une lutte sans fin.

Si l’État ne s’arrête pas, nous ne nous arrêterons pas car nous n’allons pas sacrifier nos vies. Je le dis avec exaspération, car Macky Sall vit dans d’excellentes conditions.

Au cœur de Bargny, les gens sentiront la pollution de l’usine de fer. Plus celle de la Sococim. On transforme cette zone en une partie où l’espérance de vie baisse

La constitution nous garantit le droit à un environnement sain. De nombreux protocoles ont été signés par le pays pour protéger les populations. Alors pourquoi la population de Bargny doit-elle disparaitre ?

Ils disent qu’avec la centrale électrique, c’est Bargny qui va éclairer le Sénégal. Mais ils oublient que c’est Bargny qui a construit le Sénégal et l’Afrique de l’Ouest à travers la Sococim. Depuis 1948 la Sococim est là mais elle ne verse pas un centime à la commune de Bargny. Si elle octroie des redevances, la commune de Bargny n’en a rien reçu. Qu’est-ce qu’on veut ? Qu’on croise les bras et qu’on laisse l’État du Sénégal faire ? Nous ne l’accepterons pas. Nous allons combattre au prix de nos vies.

N’êtes-vous pas inquiet que ces déclarations soient perçues comme de l’agressivité ?

Tant mieux alors. Le droit a prévu la légitime défense. Si on continue dans la situation qui nous est imposée, nous allons mourir. Ce combat ne profite pas à nous seuls. Mieux vaut mourir pour une cause afin que les prochaines générations puissent vivre dans la paix. Bargny est en train d’étouffer. Nous allons directement vers l’agonie. Et après l’agonie, c’est la mort.

En ce moment, nous sommes prêts. Je te le dis face à face. Nous sommes prêts pour cette lutte afin de contrer l’implantation de cette industrie. Comment peut-on accepter qu’il y ait quatre établissements classés de type 1 dans une même ville ? C’est-à-dire des entreprises qui ne doivent pas être proches des lieux de vie. La distance réglementaire n’est pas respectée entre ces entreprises et les lieux de vie des populations. Rien de ce qu’elles font ne respecte les normes environnementales. Et ils veulent que Bargny croise ses bras. Cela ne passera pas.

Ce sera le premier combat frontal entre cette nouvelle génération et l’État du Sénégal. Au prix de nos vies. Que l’on nous mette en prison. Cela ne nous empêchera pas de continuer la lutte. Bargny est sur le point d’affronter l’État du Sénégal pour lui dire que nous avons subi des injustices, et nous voulons qu’elles soient réparées.

Mieux vaut mourir pour une cause afin que les prochaines générations puissent vivre dans la paix. Bargny est en train d’étouffer. Nous allons directement vers l’agonie. Et après l’agonie, c’est la mort

Quel est votre dernier mot ?

C’est de dire au monde, et à la population de Bargny en particulier, de se dresser. En ce moment, je ne dors pratiquement pas car l’avenir de Bargny est sombre. Au fond de moi, ce que je veux, c’est que tout Bargny forme un seul corps pour lutter. Si nous formons un seul corps, nous allons gagner le combat. Nous sommes déjà sur le terrain.

Et je dis au président Macky Sall que Bargny a voté pour lui à hauteur de 58%. Qu’il vienne au moins en aide à ceux qui ont voté pour lui. Qu’il leur évite la honte de se faire moquer par ceux qui n’ont pas voté pour lui. Sans le dire, nous commençons à rire d’eux.

Nous ne sommes pas dans la logique de lutter juste pour lutter. Nous comptons lutter dans le respect du droit. Mais à un certain point, il pourrait être nécessaire que nous y laissions nos vies. Pour le moment, nous allons utiliser toutes les voies offertes par le droit pour montrer la vérité et corriger ce qui doit l’être à Bargny.

 


Crédit photo : WATHI

Mandoye Beun Ndoye

Mandoye Beun Ndoye est conseiller municipal à Bargny où il a réalisé tout son cursus scolaire jusqu’à la terminale. Il a été président du rassemblement des étudiants de Bargny et secrétaire général de l’association sportive et culturelle de son quartier. Impliqué dans la politique, il est le responsable des jeunes du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) à Bargny et le vice-président de la commission culture, tourisme, loisirs et patrimoine de la municipalité.

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