Melanie Horstead
Alors que l’Objectif de développement durable (ODD) 4 des Nations Unies a une vision claire d’une éducation de qualité pour tous, la mise en œuvre et l’évaluation de cette vision sur la base d’objectifs quantitatifs sont en contradiction avec la réthorique d’une éducation inclusive. De nombreux pays s’efforcent d’atteindre ces objectifs spécifiques au risque de négliger des valeurs culturelles et des langues nationales. En outre, les inégalités structurelles majeures dans l’offre éducative sont ignorées dans la poursuite de ces objectifs induits de l’extérieur. Les cibles et les indicateurs de l’ODD4 sont mal contextualisés, gérés et mis en œuvre par les agences de gestion mondiales, qui ne comprennent tout simplement pas les réalités culturelles locales. Les résultats d’une analyse récente du « Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence – Education / Formation PAQUET (2018-2030) » du Sénégal, rédigé conformément à la vision de l’ODD 4, suggèrent que cet objectif au Sénégal est irréalisable en raison des inégalités structurelles existantes et d’une énorme pénurie d’enseignants qui continue d’être négligée, car les cibles et les indicateurs externes sont prioritaires.
La première école française publique imposée au Sénégal a été créée en 1817 par Jean Dard qui, ayant appris le wolof, « pensait que les systèmes éducatifs africains devraient être construits sur les langues locales ». Après le départ de Dard, ce principe a été perdu et les autorités ont remplacé les langues locales par le français. L’école française a par la suite été considérée comme une école étrangère qui utilise un programme étranger et est de plus en plus inaccessible à la majorité des citoyens sénégalais. On oublie souvent qu’avant les OMD et les ODD, des efforts de réformes majeures ont eu lieu au Sénégal en 1969, 1979 et 1984, dans le but de créer une éducation universelle gratuite pour tous à travers le développement d’un « curriculum spécifiquement africain » favorisant l’enseignement dans les langues nationales. De telles tentatives de réforme ont depuis été éclipsées.
Bien que le modèle de l’école laïque française soit resté le modèle de l’école publique, la modernisation et le développement de l’école islamique se sont également déroulés dans le pays. On peut dire que l’éducation des Sénégalais est enracinée dans l’Islam depuis la création de l’ancien État de Tekrur sur le bassin sénégalais. Elle a connu l’évolution de l’école coranique du 15e siècle, le mouvement de réforme islamique des années 1950, le développement des « écoles franco-arabes » hybrides dans les années 1970. La réforme et le développement de ces modèles et ces systèmes éducatifs ont continué à être adaptés au contexte sénégalais.
On oublie souvent qu’avant les OMD et les ODD, des efforts de réformes majeures ont eu lieu au Sénégal en 1969, 1979 et 1984, dans le but de créer une éducation universelle gratuite pour tous à travers le développement d’un « curriculum spécifiquement africain »
Cependant, dans les années 80, la mise en œuvre forcée des programmes d’ajustement structurel (PAS) par les institutions internationales a tout changé. Non seulement les PAS ont fermement établi des « idéaux néolibéraux sur l’éducation en tant qu’institutions devant générer du capital humain et créer une main-d’œuvre humaine », il est tout aussi important de rappeler que les PAS ont lancé ce qui serait une « crise », car le financement public des enseignants a été réduit. Aujourd’hui, la « crise de la recherche d’enseignants suffisamment qualifiés pour répondre aux besoins croissants des systèmes scolaires se poursuit ».
L’impact des institutions internationales dans la mise en œuvre des politiques d’éducation au Sénégal
La catastrophe résultant des PAS n’a pas été réparée et avance rapidement jusqu’à ce jour. Il y a une amnésie complice concernant la crise de pénurie d’enseignants. Pire encore, les donateurs externes admettent ajouter des charges supplémentaires aux institutions. En 2020, le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE), chargé de gérer le déploiement du programme d’éducation au Sénégal, a reconnu qu’il augmentait «la charge administrative des parties prenantes tout en sapant potentiellement l’appropriation locale du plan sectoriel ». En 2019, la majeure partie des subventions du GPE a été allouée à la planification et au développement du secteur, sans renforcer les capacités ni aider au financement pour atténuer la crise des enseignants. Le GPE, influencé par ses donateurs extérieurs, admet ouvertement qu’il n’a ni le temps ni les ressources pour développer une connaissance approfondie des pays.
L’ODD 4 en Afrique doit éviter « un changement de culture induit de l’extérieur » ou encore « l’aliénation culturelle »
Même si le PAQUET (2018-2030) déclare que les objectifs d’alphabétisation se concentrent sur les langues nationales, dans la pratique, les donateurs et programmes externes accordent la priorité à l’enseignement du français. Les bailleurs de fonds (apparemment en raison de l’absence de stratégie nationale) « promeuvent l’enseignement du français » pour les premiers niveaux et les classes équivalentes. En outre, à ce jour, le programme « Lecture pour tous » n’a pas été déployé dans toutes les régions. Samuel Amponsah, docteur en éducation de l’Université d’Afrique du Sud, et un ensemble d’auteurs soutiennent que l’ODD 4 en Afrique doit éviter « un changement de culture induit de l’extérieur » ou encore « l’aliénation culturelle ». « L’occidentalisation » de l’éducation n’est pas passée inaperçue par de nombreux enseignants sénégalais qui appellent désormais le système scolaire sénégalais le « système scolaire de la Banque mondiale », car la Banque mondiale a pris en charge l’essentiel du financement de l’éducation.
Corriger la pénurie d’enseignants dans le système et créer des infrastructures éducatives pour tous
En fin de compte, l’ODD4 n’est pas en passe d’être atteint au Sénégal. Les principaux problèmes sous-jacents ne sont toujours pas résolus et les principales parties prenantes sont mises à l’écart. Au Sénégal, les ressources sont toujours systématiquement concentrées dans les zones urbaines, la plupart des ressources sont allouées au système scolaire formel et la disparité entre les zones urbaines et rurales augmente à la fois en termes de qualité et de résultats. Le manque d’infrastructures continue d’être un obstacle au succès de toute réforme nationale de l’éducation. En 1994, des inspecteurs sur le terrain, employés pour soutenir les écoles, évoquaient des problèmes de « mauvaises routes, de manque de pièces de rechange et de manque de carburant » dans l’exercice de leurs fonctions. Il serait intéressant de voir quelles améliorations ont été apportées presque 30 ans après mais, dans son rapport 2019 sur le Sénégal, le GPE a constaté qu’il n’y avait absolument aucun suivi de la mise en œuvre du PAQUET.
Au Sénégal, les ressources sont toujours systématiquement concentrées dans les zones urbaines, la plupart des ressources sont allouées au système scolaire formel et la disparité entre les zones urbaines et rurales augmente à la fois en termes de qualité et de résultats
Dans le secteur public de l’éducation, la pénurie d’enseignants qui perdure depuis la catastrophe des programmes d’ajustement structurel n’a toujours pas été suffisamment corrigée pour offrir une éducation de qualité pour tous. Les donateurs et organisations externes doivent désormais travailler en étroite collaboration avec les principales parties prenantes pour évaluer les échecs précédents de la mise en œuvre des réformes et allouer des financements en fonction des besoins nationaux et régionaux, ce qui est essentiel pour atteindre les objectifs et développer les politiques et pratiques de développement plus largement. Le manque de compréhension du contexte local et le manque d’évaluation de l’échec antérieur de la mise en œuvre des réformes sous-tendent l’échec des efforts de réforme des politiques nationales et mondiales en faveur de l’éducation.
Credit photo: Education SN
Melanie Horstead
Melanie Horstead est la directrice exécutive et la fondatrice de Talibe Trust. Elle est titulaire d’une maîtrise en « Afrique et Développement » de l’Université de Birmingham, où elle a obtenu un diplôme avec une distinction en 2020. Son travail se concentre sur le Sénégal et la région du Sahel en Afrique de l’Ouest.
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