Le dialogue national au Sénégal : enjeux et perspectives

Le dialogue national au Sénégal : enjeux et perspectives

Pathé Dieye

Le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité disait le psychanalyste Jacques Lacan. Mais à quoi le Sénégal, après les échéances électorales, devrait-il renoncer? Renoncer à un climat politique tendu et en faire un cadre où tous les acteurs du système politique se sentiraient impliqués par le biais d’un « pacte de stabilité », tel est le dessein de la convocation à un dialogue national initié par le président Macky Sall.

Ce dialogue national se veut être inclusif, réunissant des représentants de partis politiques, de la société civile, des organisations patronales, des autorités coutumières. Depuis l’ouverture de ce dialogue au palais présidentiel le samedi 28 Mai 2016, sous la présidence du Chef de l’État, beaucoup d’interrogations planent sur la démarche. Quelles sont les réelles intentions des parties prenantes et les véritables objectifs? Le dialogue national est-il pertinent dans un contexte où le pays est relativement stable ? Quels sont les axes prioritaires autour desquels les acteurs devraient se pencher ? Quels sont les attentes des Sénégalais?

Une kyrielle de questions dans un cocktail d’incertitudes a conduit des observateurs avertis à la tentative de trouver des élucidations sur ce mécanisme. C’est dans cet élan que le laboratoire d’idées citoyen WATHI dans le cadre de son partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer  au Sénégal a organisé un déjeuner débat le 28 octobre 2019 sur le thème suivant: «Enjeux et perspectives du dialogue national au Sénégal».

L’objectif d’une telle rencontre sur ce sujet qui fait l’actualité au Sénégal était de sonder la pertinence du dialogue national, de situer les différentes positions des parties prenantes, de penser les perspectives pour les prochaines échéances électorales et d’identifier les attentes des citoyens.

Dialoguer pour apaiser le climat social

Ce dialogue a été jugé fort pertinent dans la mesure où le Sénégal jouit certes d’une réputation de vitrine de la démocratie dans l’espace ouest-africain, mais le pays a besoin de ce dialogue pour au moins consolider la paix sociale. Cela est encore plus important car le Sénégal se situe dans un contexte géopolitique où il est entouré d’une ceinture de pays instables sur les plans politique et sécuritaire. En sus, il y a la découverte du gaz et du pétrole qui sont la source de plusieurs polémiques.

Toutefois, ne s’agit-il pas d’un dialogue politique au lieu d’un dialogue national? Ce dialogue peut-il être un baromètre de la démocratie sénégalaise? Quelles sont les attentes des citoyens? D’abord, il est important d’éviter l’amalgame qui consisterait à prendre le dialogue national pour un dialogue politique. Ce dernier n’est qu’une partie du dialogue national qui doit prendre également en compte les questions de sécurité, de santé, et d’éducation etc.

Ce dialogue doit aboutir à une mise à jour et une modernisation du statut des partis politiques, éliminer les incertitudes sur le calendrier électoral, et prendre en charge les urgences concernant la santé publique, l’éducation, la sécurité, etc

Certains participants ont émis l’idée qu’il n’est pas nécessaire de parler de dialogue national car le dialogue n’est utile qu’en cas de crise apparente. Mais il leur a été opposé que c’est en temps de paix qu’on peut avoir le recul nécessaire et les dispositions requises pour anticiper sur les questions stratégiques, surtout celles sécuritaires vu le contexte d’incertitude dans lequel est la région.

Pour d’autres, la tenue du dialogue national n’est qu’un mécanisme pour donner le sentiment de permettre un souffle démocratique alors qu’il s’agit dans le fond de perpétuer les pratiques autoritaires du pouvoir en place et la constante manipulation des textes. En outre, si aujourd’hui le dialogue national prend des airs de dialogue politique, c’est parce que cinq mois après son ouverture, seule la commission politique se réunit régulièrement pendant que les autres commissions sont quasi absentes. En effet, des axes de réflexion comme l’évaluation de la dernière présidentielle, la détermination du statut du chef de l’opposition, le débat sur le fichier électoral, la détermination les modalités d’organisation des prochaines élections locales sont à la une, et à côté, on ne sent pas les questions de la commission sur le genre et la justice sociale, la commission sur la paix et la sécurité, celle sur l’éducation et la santé etc.

Passer de la rhétorique au pragmatisme

Loin d’être dans le « sophisme médiatisé », ce dialogue doit aboutir à une mise à jour et une modernisation du statut des partis politiques, éliminer les incertitudes sur le calendrier électoral, et prendre en charge les urgences concernant la santé publique, l’éducation, la sécurité, etc.

Le climat de suspicion qui plane sur les rendez-vous électoraux ne peut être jugulé que si on encadre juridiquement et on verrouille le calendrier des différents scrutins car un mandat électif est un mandat à durée déterminée. On peut rappeler que la date des élections locales qui était prévue le 23 juin 2019 a été reportée à deux reprises, la première au 1er décembre de la même année sur décision du Chef de l’Etat, et la seconde est fixée au plus tard le 28 mars 2021 par un amendement de la première phrase de l’article 1 du projet de loi portant report des élections locales.

Il est important d’alerter les citoyens aussi afin qu’ils se départissent de l’attitude du spectateur pour être des acteurs vigilants et impliqués afin de se faire entendre dans le processus de prise de décision. Les médias aussi ont la responsabilité d’informer juste, de relayer les questions pertinentes et constructives ainsi que les attentes des populations.

A propos des attentes, elles sont nombreuses. Les Sénégalais sont pour le principe de l’intégrité du processus électoral et affirment la nécessité absolue de respecter la volonté populaire et une fixation très claire de la date des élections locales. Il s’agit d’un dialogue qui doit être le plus inclusif possible. La concertation n’en est guère une option mais la règle. Ce dialogue devrait aboutir également à la validation des termes de référence sur la réforme du statut du chef de l’opposition et la définition d’un calendrier fixe pour les élections au Sénégal. Tout ce travail doit surtout permettre à apaiser et pacifier la scène politique, garantir la cohabitation sociale qui est un pilier de notre stabilité.

Pathé Dieye

Pathé Dieye est étudiant en Master 2, Science politique, relations internationales & géostratégie. Passionné de littérature, il anime le blog silence des rimes. Il s’intéresse aussi à l’étude des conflits et à leur résolution, particulièrement en Afrique.

 

Crédit photo : Homeview Senegal / WATHI

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