Dia Ndiaye
La société sénégalaise connait de profondes mutations dues à la prolifération des réseaux sociaux et à l’accès à Internet. Ces mutations sont généralement notées au niveau de la jeunesse qui semble être égarée. Les jeunes suivent la tendance, la mode et n’ont plus aucun recul face à ce qui leur est servi. Face à cette jeunesse qui perd son sens critique, il faut y voir un mal profond au sein de la société sénégalaise.
Les phénomènes de modes, un voile sur les maux profonds de notre société
Depuis longtemps, notre société semble être dans un piège très profond. Et ce piège semble être accepté par la majeure partie de la population. Cette dernière est très facilement manipulable, par des faits divers, des informations insensées, sans aucune valeur ajoutée ni sur le bien-être et la cohésion sociale ni sur l’économie du pays. Ceci dit, notre pays s’enfonce progressivement et de génération en génération, dans un trou d’inconscience collective. En ce qui concerne le phénomène “Kounkané”, mon hypothèse est la suivante : Kounkané n’est qu’un examinateur qui avait pour mission de tester et valider le grand intérêt accordé aux futilités, l’incapacité à prendre du recul, l’absence de sens critique qui règnent dans notre société. Hypothèse qu’il a validé lui-même en disant : “La plupart des sénégalais ont un cerveau vide”.
La jeunesse sénégalaise et le sens critique du sénégalais
Nous vivons dans un monde où les informations peuvent être facilement disponibles. D’un clic de souris, nous pouvons accéder à une multitude d’entre elles ; en nous promenant dans la rue, nous croisons des affiches attirant le regard ; en allumant la radio ou la télévision nous entendons des journalistes ; nous regardons des publicités en ouvrant un journal ; nous découvrons des articles sur les réseaux sociaux, sur le web. Je ne dirais pas exactement qu’il s’agit d’une absence de sens critique, mais plutôt d’une incapacité à prendre du recul face à certaines ou même la plupart des informations insensées qui circulent sur nos réseaux sociaux. Les adolescents qui ont l’habitude de manipuler leur smartphone sont submergés par un flot de contenus, et il leur est difficile de faire la part entre vérité et mensonge. La majeur partie de ces contenus est relayée en un éclair par des médias dont le seul objectif est d’atteindre le maximum d’audience : fausses informations, rumeurs, complots et futilités sèment le trouble avec une force de frappe étonnante. Selon des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) une fausse nouvelle a 70 % de plus de chances d’être relayée par rapport à une nouvelle vérifiée, et circule en moyenne six fois plus vite.
Autonomie, curiosité, lucidité, modestie… voilà des attitudes qu’il faut encourager chez les jeunes
Moins les gens prennent du recul et développent un sens critique face aux vagues d’informations, plus on s’adresse à eux comme à des « ignorants », manipulables dans tous les sens. Une fois que le mal est fait, il devient impossible de s’entretenir avec eux, comme avec des individus libres et responsables, ce qui légitime a posteriori l’élitisme et le snobisme de classe. La démocratie ne peut fonctionner correctement que si les citoyens, et surtout les jeunes, sont capables de résister aux démagogues, grâce à leur esprit critique. Cela est le gage d’une classe politique et sociale de qualité. La prise de recul, le renforcement de l’esprit critique doivent plus que jamais être de mise.
Les voies de changement
Il est plus qu’urgent que l’Éducation nationale se libère de son système de mémorisation mécanique. Dans ce cadre, il faut engager une réflexion sur la façon dont les enseignants peuvent participer à la formation et au renforcement de l’esprit critique des élèves, en leur accordant plus d’autonomie dans la pensée et dans le questionnement. L’esprit critique se cultive à travers un ensemble d’attitudes. Pour le développer, il faut faire preuve d’autonomie, oser penser par soi-même, comme le préconisait le philosophe Emmanuel Kant.
Autre ingrédient indispensable : la curiosité. Celle-ci nous incite à comprendre le monde qui nous entoure. Il faut aussi faire preuve de lucidité, c’est-à-dire avoir une vision claire de ce que l’on sait et de ce que l’on ignore. L’esprit critique implique de prendre le temps de s’informer, ce qui n’est pas évident dans une société de l’immédiateté, qui exige une réaction instantanée, notamment sur les réseaux sociaux.
L’école sénégalaise doit se renforcer davantage pour former de vrais citoyens, suffisamment informés des enjeux nationaux et mondiaux
L’école sénégalaise doit se renforcer davantage pour former de vrais citoyens, suffisamment informés des enjeux nationaux et mondiaux, étant capables de prendre du recul pour distinguer ce qui est utile et vrai, de ce qui ne l’est pas.
En amont, il faut créer les conditions politiques, institutionnelles et sociales qui favorisent le renforcement de l’esprit critique, l’esprit de vérification et l’esprit de recherche. Cela passe par le pluralisme et la rigueur médiatique, avec des médias qui ne s’adressent pas aux citoyens comme on le ferait avec des ignorants totalement désintéressés du progrès. Cela passe aussi par un système éducatif performant et adapté, la valorisation de la recherche dans tous les domaines de la société, sans oublier les conditions sociales rendant possible le bien-être de toutes les couches de la société.
Credit photo: autre-avenir.com
Dia Ndiaye
Dia Ndiaye est étudiant sénégalais à l’École polytechnique de Paris X, en France. Il y étudie l’intelligence artificielle appliquée au secteur des télécommunications. Avant d’étudier en France, Dia Ndiaye a obtenu une Licence en Mathématiques à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est le cofondateur de l’Institut des algorithmes du Sénégal.
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