« Les associations de développement m’ont donné ce que l’école ne m’a pas donné » Moustapha Diop, Secrétaire général de l’ASC de Fass-Keur Massar

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Extraits

En 2014, avec d’autres artistes, Moustapha Diop a créé un mouvement citoyen pour empêcher un troisième mandat du maire de Keur Massar. Il a été président de l’Association des jeunes pour le développement de Fass, mais également secrétaire général de l’Association sportive et culturelle (ASC) de Fass-Keur Massar. Moustapha, pourquoi est-ce important pour vous de vous impliquer dans les associations de développement des jeunes?

C’est important pour moi parce qu’en réalité, le mouvement associatif est une école de formation qui te permet de te forger en leadership, en développement personnel et d’être au-devant de la scène. Au début, cela ne m’intéressait pas parce que je ne connaissais pas l’impact que cela pouvait m’apporter. Mais au fil des années, j’ai compris que c’est important, en tant que jeune qui habite dans une localité, de s’impliquer et d’apporter sa pierre à l’édifice. A travers les associations, nous avons eu à réaliser beaucoup de programmes qui ont développé notre communauté.

J’ai appris beaucoup de choses : à être avec les personnes, à développer mes aptitudes, à apprendre et à être au cœur du développement de mon quartier.

Pourquoi est-ce important d’apprendre à être un bon leader?

C’est important parce que j’ai des aspirations et des ambitions pour l’avenir. Pour atteindre ce niveau, je dois me confronter à des obstacles. En passant par les mouvements associatifs, j’apprends à connaître plusieurs personnes et je suis reconnu à Keur Massar pour ce que je fais. De cette façon, si demain, je veux représenter Keur Massar, les gens me le concèderont.

Vous avez choisi d’intégrer les organisations de développement. D’autres choisissent d’intégrer des partis politiques. Mais on a l’impression qu’à Dakar et dans le reste du pays, de moins en moins de jeunes sont intéressés par le monde de la politique…

Parce que le monde de la politique est pourri. Ici au Sénégal, dès que tu fais de la politique, les gens portent sur toi le regard de quelqu’un qui n’est pas sincère, parce que les politiciens n’ont pas montré le bon exemple. Donc pour moi, c’est important de passer par les mouvements associatifs et d’être reconnu comme quelqu’un qui croit en son quartier, à sa communauté. De cette façon, si demain tu as une aspiration politique, les gens accepteront et seront fiers de toi. Même avant que tu n’aies cette aspiration, les gens vont te porter et te dire que tu dois faire de la politique parce qu’on sait que tu es une personne correcte, intègre, digne. Si on te donne des responsabilités, tu pourras les assumer sans être corrompu ou voler l’argent du peuple.

La politique n’est-elle pas conduite de cette manière à Keur Massar?

Nous avons eu l’habitude d’élire des receveurs de bus, des gens qui travaillent dans les champs, etc. Ce n’est pas pour les dénigrer mais on a donné la mairie à des personnes qui n’ont pas assez de compétences. C’est pour cela que lorsqu’ils arrivent à la mairie, ils construisent des maisons parce qu’ils n’avaient pas de maison, ils achètent des voitures, etc. Ils oublient les objectifs de leurs missions parce qu’ils viennent de milieux pauvres, ils n’avaient pas beaucoup de connaissances, ils ne savaient pas ce qu’est la gouvernance locale.

Le monde de la politique est pourri. Ici au Sénégal, dès que tu fais de la politique, les gens portent sur toi le regard de quelqu’un qui n’est pas sincère, parce que les politiciens n’ont pas montré le bon exemple

Imagine un receveur de bus ou un cultivateur qui ne connaît pas la décentralisation, qui ne connaît pas les politiques publiques et qui est impliqué dans une mairie. Il va détourner de l’argent. Il ne va pas mettre en place des politiques publiques rentables. Un maire doit être un futuriste. Il doit mettre en place des projets de développement avec les ONG, les partenaires publics et privés qui sont là. Mais nos maires ne connaissent pas cela en réalité. C’est pour cela qu’on a souvent des blocages de développement au niveau de nos localités.

Les jeunes dans les banlieues rencontrent-ils beaucoup plus de blocages que les jeunes d’ailleurs ?

Oui, c’est le cas parce qu’en banlieue, il n’y a pas d’infrastructures. Il n’y a pas de cadre propice qui permette aux jeunes de se développer normalement. Prenons l’exemple de Keur Massar. A Keur Massar, il n’y a pas de centre culturel. Il n’y a pas de stade. Donc un jeune qui habite Keur Massar et qui veut être un artiste n’a pas les possibilités d’être un artiste. Un jeune footballeur qui habite Keur Massar n’a pas un cadre propice pour développer ses ambitions par rapport à un jeune qui habite en ville. Donc, les contextes ne sont pas les mêmes.

Il est vrai qu’en banlieue il y a des jeunes qui se sont imposés, qui sont parvenus à réussir malgré toutes les difficultés du monde. Mais ce n’est pas évident parce qu’on manque de cadre, on manque de moyens, on est issu de familles pauvres. Ce n’est pas du tout évident d’avoir les mêmes possibilités qu’un jeune qui est en ville.

Aujourd’hui, de quoi rêvent les jeunes à Keur Massar ? Comment les soutenir?

Il y a un premier problème à résoudre: c’est le problème du développement humain, donc le manque de formation. Il y a beaucoup de jeunes qui n’ont pas eu une bonne formation parce que leurs parents sont pauvres. Ils n’ont pas eu la possibilité d’aller dans de bonnes écoles. Concrètement, il faut régler le problème de la formation des jeunes.

Il faut aussi encadrer les jeunes qui sont porteurs de projet à Keur Massar et mettre en place des infrastructures qui permettent aux artistes, aux sportifs, aux entrepreneurs de pouvoir se développer en banlieue.

Est-ce à travers des organisations comme la Délégation à l’entrepreneuriat rapide (DER) qu’on peut y arriver ou faudrait-il impliquer d’autres organisations?

On peut le faire à travers des organisations comme la DER, mais en réalité, la DER est une organisation politique. Il y a beaucoup de jeunes qui déposent leurs projets à la DER, mais on ne les appelle pas. On connait la réalité au Sénégal.

Ces porteurs de projets dont vous parlez postulent pour des financements qui sont octroyés sous sélection. N’est-il pas facile de jeter un discrédit à toutes les institutions publiques en disant qu’elles sont politiques, alors qu’en réalité, elles ont des moyens limités et une capacité d’action limitée?

Non, ce n’est pas pour jeter le discrédit sur ces institutions, mais c’est la réalité en Afrique. On ne peut pas s’empêcher de le dire. Je vois des jeunes qui ont de bons projets, mais qui n’ont jamais eu la possibilité d’être financés et accompagnés alors qu’ils sont issus de familles modestes. Leurs parents n’ont pas les moyens de les encadrer pour qu’ils puissent mettre en œuvre leurs projets. Donc c’est à l’État que revient cette responsabilité. Mais si l’État met sur pied des organisations qui doivent accompagner les jeunes alors que ce sont des organismes à la solde des politiques, ce n’est pas intéressant.

D’un autre côté, on remarque que les jeunes ne sont pas assez exigeants envers leurs représentants politiques. Lorsqu’on voit les exemples de corruption dans les institutions publiques, ne faut-il pas souligner que ce sont aussi aux jeunes d’être beaucoup plus exigeants envers les personnalités politiques ?

Les jeunes doivent être exigeants parce que l’argent leur appartient, à eux et à la nation sénégalaise. Donc normalement en tant que jeune, tu dois contrôler l’action  de ta mairie et de ton gouvernement. Même si tu n’as pas les pouvoirs de le faire, tu as le pouvoir de faire des recherches et de voir comment le pouvoir public s’organise. Tu peux aller à la mairie, assister aux réunions du conseil municipal, voir comment le budget est voté, comment l’orientation budgétaire est faite, etc.

Mais les jeunes ne sont pas exigeants sur ce plan. Beaucoup de jeunes ne comprennent pas qu’ils ont le droit d’aller à la mairie et assister à un conseil municipal. Il faut sensibiliser et informer les jeunes.

Si l’État met sur pied des organisations qui doivent accompagner les jeunes alors que ce sont des organismes à la solde des politiques, ce n’est pas intéressant

D’un autre côté, l’État est défaillant. En tant que président de la République, tu donnes des directives à un ministre pour octroyer des fonds d’aide à des jakartamen (conducteurs de moto*) et, en plein conseil présidentiel pour l’emploi des jeunes, tu es au courant que ces fonds n’ont pas été attribués à ces jeunes. La première réaction devrait être de démettre le ministre de ses fonctions. Mais on voit comment est le Sénégal. La corruption est ancrée au plus profond de l’État.

Nous parlons de la corruption dans les institutions publiques. Mais n’a-t-on pas aussi banalisé la corruption dans nos sociétés et y compris au sein de la jeunesse ?

La corruption est banalisée effectivement. Même dans les familles,  la manière dont tu ramènes de l’argent ne les intéresse pas. Ce qui les intéresse c’est qu’on leur donne quelque chose, qu’on donne à manger à la famille. C’est pour cela que la corruption est banalisée. Nous sommes dans une société à deux poids, deux mesures. On ne respecte pas une personne grâce à son éducation, ses expériences, sa connaissance, mais on la respecte pour l’argent. Donc, beaucoup de jeunes sont obligés de s’adonner à la corruption, de suivre certains politiciens corrompus parce que nous vivons dans cet environnement qui n’est pas du tout sain.

Beaucoup de jeunes ne comprennent pas qu’ils ont le droit d’aller à la mairie et assister à un conseil municipal. Il faut sensibiliser et informer les jeunes

J’appelle la jeunesse à être consciente, à se réveiller et mener le combat pour éradiquer la corruption. C’est par la sensibilisation, la culture et les formations qu’on peut atteindre cela.

Pouvez-vous nous parler un peu plus de votre parcours dans les associations de développement, et comment cela vous a forgé en tant qu’être humain?

Les associations de développement m’ont beaucoup aidé. J’ai commencé à rédiger des projets grâce aux associations de développement. J’ai commencé à écrire des demandes administratives, à parler en public grâce à ces associations. Les associations m’ont donné ce que l’école ne m’a pas donné. Depuis très jeune, on m’a intégré dans le mouvement associatif. Cela m’a aidé pour connaître mon environnement. A travers des set-setal (opérations d’assainissement*), à travers des sessions de sensibilisation sur le paludisme, à travers des défilés de mode et des spectacles artistiques, j’ai pu connaître beaucoup de jeunes de Keur Massar, beaucoup des jeunes leaders qui s’identifient à moi.

Nous sommes dans une société à deux poids, deux mesures. On ne respecte pas une personne grâce à son éducation, ses expériences, sa connaissance, mais on la respecte pour l’argent

Vous établissez un lien très fort entre votre métier de manager d’artistes et votre rôle de citoyen engagé dans ces associations de développement. En tant que manager d’artistes, diriez-vous que les artistes, de manière générale, sont beaucoup plus engagés sur le plan citoyen que les autres jeunes?

Oui, parce que les artistes n’ont pas cette peur d’être critiqués, d’être pointés du doigt par rapport à d’autres jeunes. Les artistes suivent leurs sentiments. La réaction est spontanée par rapport à un jeune politicien ou à un autre jeune qui est dans un domaine différent. L’artiste est important dans notre société parce qu’il prend les devants, il sensibilise, il met en place des programmes qui peuvent aider la communauté.

Comment peut-on aider les jeunes à participer beaucoup plus au développement de leurs communautés?

Par des formations. Comme je l’ai dit, la banlieue a besoin de formation. C’est en ce sens que nous, chaque mois, nous essayons d’organiser un séminaire de formation à destination des jeunes de Keur Massar. Dans le cadre de la semaine de l’entrepreneuriat en novembre, nous avons le projet de former, durant le festival, 100 jeunes de Keur Massar en gestion de projets, en entrepreneuriat, en développement d’entreprises créatives. Ce n’est pas important d’organiser des concerts. Le problème, c’est la formation. Beaucoup de jeunes n’ont pas de capacités, n’ont pas de perspectives, n’ont pas de métiers, de diplômes, ni de connaissances. Pour rendre les jeunes indépendants, il faut les former.


Crédit photo : WATHI

Moustapha Diop

Moustapha Diop est le secrétaire général de l’association sportive et culturelle de Fass-Keur Massar. Il a été président de l’association des jeunes pour le développement de Fass. En dehors de son engagement dans les mouvements associatifs, Moustapha est manager d’artistes.

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