« Nous ne savons pas quel sera l’impact de l’exploitation du pétrole sur la pêche à Mbour » Bayaty Babou, Adjoint au maire de Mbour

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Extraits

Mbour est l’une des communes qui produit le plus de poissons sur le territoire sénégalais. Comment cela se ressent-il dans la ville ?

Ici, s’il n’y a pas de pêche, Mbour ne vit pas. Toute l’économie démarre par la pêche. Lorsqu’il y a beaucoup de poissons, la ville bouge. Les chauffeurs de taxi, les restaurants, les vendeurs de légumes, les vendeurs d’habits au marché, le ciment, la construction, tout bouge. Mais s’il n’y a pas de pêche, l’activité économique est très ralentie.

Justement, les pêcheurs parlent davantage de la raréfaction des poissons. Qu’est-ce qui l’explique ?

C’est un problème climatique mais aussi un problème de management de la ressource. Beaucoup d’acteurs invoquent la transparence par rapport à l’octroi des licences de pêche d’une part, et par rapport au matériel de pêche utilisé par les pêcheurs. Il y a un code de la pêche mais les gens ne le respectent pas toujours. Si vous allez au niveau des plages, vous verrez qu’ils débarquent des poissons immatures qui ne sont pas utilisés et sont ensuite jetés sur la plage.

Si les pêcheurs n’ont plus où pêcher, ils vont trouver autre chose : aller à Barsakh (immigration clandestine), faire de la fraude ou se mettre dans le transport de la drogue

Quelques années auparavant, il y avait un nombre limité de pêcheurs qui possédaient des engins et allaient à la mer. Mais aujourd’hui, dans plusieurs maisons, vous verrez deux moteurs ou plus et jusqu’à cinq pirogues parfois. Cela a augmenté l’effort de pêche dans la zone. Depuis deux ou trois ans, le gouvernement a pris la responsabilité d’accorder des subventions. Pour chaque moteur acheté, il y a une subvention d’un million de CFA. C’est en porte à faux avec la politique du gouvernement qui était de mise jusque-là. Auparavant, l’objectif était de réduire le nombre de pêcheurs à la mer. Pour avoir une pirogue et aller en mer, il fallait une autorisation et une taxe. Mais la donne a changé et les moteurs sont à bon prix maintenant.

Comment encadrer cette forte activité autour de la pêche ?

L’encadrement est du ressort de l’État. La pêche n’est pas un domaine transféré à la commune. La mairie de Mbour n’a aucun droit sur la pêche. Nous gérons deux centres uniquement : le quai de pêche et le centre de formation. Cela est possible grâce à une convention qui nous permet d’agir au nom de l’État mais en nous demandant, à notre tour, de remettre ces infrastructures aux acteurs de la pêche : les mareyeurs, les pêcheurs, les transformateurs, etc. Ce qui fait que nous avons signé une sous-concession avec un GIE (Groupement d’Intérêt Économique) interprofessionnel et c’est eux qui gèrent en réalité. Il y a un organe de supervision et chaque mois, l’État, la mairie et les acteurs se réunissent pour voir ce qui est fait et donner des orientations.

Croyez-vous que pour une commune comme Mbour qui vit essentiellement de ce secteur, la pêche doit être une compétence transférée dans la suite de l’acte 3 de la décentralisation ?

Bien entendu ! C’est une ancienne demande. Cela nous donnerait beaucoup plus de ressources d’autant plus que l’on nous a transféré la santé et l’éducation. Par exemple, c’est l’État qui gère les ressources financières tirées des autorisations de pêche alors que ce sont des rentrées de fond qui auraient pu nous permettre d’accéder aux ressources.

L’encadrement est du ressort de l’État. La pêche n’est pas un domaine transféré à la commune. La mairie de Mbour n’a aucun droit sur la pêche

La pêche est le moteur du développement. Donc indirectement, la commune veille à cette activité. A chaque fois qu’il y a un problème, nous intervenons en faisant ce que nous pouvons. Ce n’est pas évident parce qu’il n’y a pas toujours les moyens mais nous sommes toujours présents pour veiller sur les problèmes.

Nous sommes très affectés par le manque de poissons et le ralentissement de la vie économique. Ces temps-ci, il y a une recrudescence des pêcheurs qui vont clandestinement en Espagne. Beaucoup quittent à partir de la côte de Mbour. Ce sont de vrais pêcheurs, ils sont capables de conduire la pirogue jusqu’en Espagne sans problème.

Quel sera l’impact de l’exploitation du champ pétrolier Sangomar au large des côtes de Mbour ?

Nous ne savons pas. En tant que technicien, je sais que c’est un danger pour la pêche car là où les puits de pétrole se trouvent, c’est là où les poissons se reproduisent et c’est là où les pêcheurs vont chercher du poisson. S’il y a des puits de pétrole, c’est sûr qu’il y aura des problèmes environnementaux. Le pétrole va polluer la zone et les poissons vont fuir. Ce sera comme la baie de Hann où personne ne pêche plus à cause de la pollution.

Ces temps-ci, il y a une recrudescence des pêcheurs qui vont clandestinement en Espagne. Beaucoup quittent à partir de la côte de Mbour. Ce sont de vrais pêcheurs, ils sont capables de conduire la pirogue jusqu’en Espagne sans problème

Il faut mener une grande réflexion sur ce qu’il faut faire. Si les pêcheurs n’ont plus où pêcher, ils vont trouver autre chose : aller à Barsakh (immigration clandestine), faire de la fraude ou se mettre dans le transport de la drogue. Ils ont les pirogues et les moteurs pour cela. L’individu doit vivre de quelque chose. L’Etat doit prendre les dispositions très tôt avant l’exploitation du pétrole. Personnellement, j’ai peur qu’on ne puisse pas essayer de discuter avec ces pêcheurs pour qu’ils puissent avoir des activités pour vivre. Sinon c’est la catastrophe. Le banditisme va s’installer.

Crédit photo: Sunu Nataal

Bayaty Babou

Bayaty Babou est le 2e adjoint au maire de la commune de Mbour, chargé des affaires maritimes. Économiste et planificateur de formation, il a fait sa carrière au ministère de la pêche et du transport maritime, avant de rejoindre le ministère de la santé puis la municipalité de Mbour en 2014.

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