« Nous sommes dans une région où la femme est un acteur économique de taille », Ibrahima Diaby, secrétaire général du conseil départemental de Vélingara

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Extraits

Quelle évaluation faites-vous de la situation des femmes et des enfants dans votre localité, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation?

Il faut dire que la situation n’est pas très bonne. Aujourd’hui, sur le plan de l’éducation, l’enrôlement n’est pas assez important. Les structures de proximité ne sont pas assez nombreuses. Et le phénomène des abris provisoires est très important chez nous.

Par rapport à la santé, les structures sanitaires font défaut. Certes, nous avons des postes de santé et des cases de santé mais jusqu’à présent, nous assistons à des accouchements à domicile, ce qui n’est pas une bonne chose pour le département. Aussi, il faut dire que le plateau technique n’est pas assez relevé. Si vous prenez un département comme Vélingara, qui est le plus grand de la région de Kolda, il faut procéder à l’évacuation des malades vers Tamba ou Kolda.

Je pense que la nécessité d’implanter un hôpital de niveau 2 au niveau du département de Vélingara est nécessaire pour pouvoir résoudre ce problème de santé. Mais le plus urgent aujourd’hui est de relever le plateau technique. Cela va réduire davantage les difficultés auxquelles font face les femmes par rapport à leurs problèmes de santé.

A Kolda, il est observé un taux de mortalité beaucoup plus élevé qu’à Dakar, le manque de matrones et de sages-femmes dans les cases de santé isolées, des structures de santé sous équipées, des difficultés pour réduire les grossesses et mariages précoces. Dans un tel contexte, comment améliorer l’accès aux soins des femmes ?

Je pense que ce n’est pas seulement la mise à disposition des sages-femmes et des matrones. Il faut équiper les structures. Il faut relever le plateau technique. Il faut surtout désenclaver les zones parce qu’il nous est arrivé de voir, en hivernage, des femmes qui meurent en cours d’évacuation parce qu’elles habitent des zones enclavées.

Si vous prenez un département comme Vélingara, qui est le plus grand de la région de Kolda, il faut procéder à l’évacuation des malades vers Tamba ou Kolda

Le désenclavement doit se faire à l’interne d’abord. Vous pouvez quitter une case de santé vers un poste de santé sur un chemin avec des « dos d’âne ». La femme n’arrive même pas au poste et déjà, elle meurt. Ce qu’il y a lieu de faire aujourd’hui, c’est désenclaver le département et rendre accessibles les structures de santé. Pour améliorer la santé maternelle, il faut s’inscrire dans cette dynamique, c’est-à-dire relever le plateau technique, équiper les structures d’accueil, désenclaver le département et mettre à disposition suffisamment d’ambulances pour les évacuations.

Nous savons que Kolda est une région où le poids de la tradition est très présent d’où la difficulté d’adresser certaines problématiques liées au bien être des femmes et des enfants. Avez-vous une démarche particulière avec les chefs traditionnels, par exemple, pour mieux sensibiliser la population sur ces questions?

Certes la région de Kolda pèse sous le poids de la tradition comme vous l’avez dit mais je pense que nous ne sommes pas une entité à part dans le pays. Les notables sont assez sensibles parce que la plupart des tabous ont été levés.

Ce qu’il y a lieu de dire c’est qu’il faut une démarche inclusive au niveau national. Il faut que les politiques nationales soient réellement senties au niveau de la région de Kolda. Kolda étant une région frontalière, avec l’avènement du PUMA (Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers) et d’autres programmes nationaux, il y a lieu de porter attention à l’implantation des infrastructures. Dans notre département, il y a des programmes qui ont été prévus dans le cadre du PUDC (Programme d’urgence de développement communautaire ) mais ils ne sont pas exécutés jusqu’à présent. Dire que la région croule sous le poids de la tradition, c’est encore méconnaître Kolda. Nous sommes certes ancrés dans nos traditions, dans notre culture, mais en fait, nous sommes ouverts et nous appartenons à ce pays qu’on appelle le Sénégal. Il ne faut pas qu’il y ait cette discrimination négative par rapport à la prise en charge réelle des questions de développement.

Il faut surtout désenclaver les zones parce qu’il nous est arrivé de voir, en hivernage, des femmes qui meurent en cours d’évacuation parce qu’elles habitent des zones enclavées

Quelles sont les actions que vous menez pour faciliter l’accès aux soins aux femmes de votre localité?

Nous avons procédé, en collaboration avec la diaspora, à la réhabilitation des centres de santé. Une association des ressortissants du département est venue aider à réhabiliter les pavillons d’hospitalisation ainsi que la maternité avec l’accompagnement du conseil départemental. Nous avons aidé à la construction d’un dispensaire de dernière génération en collaboration avec l’association des jeunes de la commune de Némataba. Nous sommes en train d’accompagner les structures sanitaires à la prise en charge effective des questions liées à la santé oculaire. Ce qui nous a permis d’organiser annuellement des camps de chirurgie de la cataracte.

De manière générale, nous sommes en train de participer et de contribuer à la prise en charge effective de la santé des populations et particulièrement celle des femmes. Mais cela ne peut pas suffire puisque les structures étatiques doivent accompagner. C’est pour cela que je dis qu’il faudrait qu’il y ait une politique soutenue de l’État dans le sens d’appuyer et d’accompagner les femmes dans la prise en charge de leur santé. Nous sommes dans une zone frontalière; elles préfèrent se rabattre dans les pays frontaliers pour se soigner, ce qui n’est pas une bonne chose pour le Sénégal.

En tant qu’élu local, êtes-vous impliqué dans la mise en œuvre des différents projets visant à améliorer la santé maternelle et infantile dans votre région?

Je ne pense pas qu’il y ait une si grande implication mais il faut reconnaître que, dans les plans de développement sanitaires au niveau du département, nous sommes impliqués par le médecin chef du district. A toutes les étapes, il nous convoque, de la planification à la réalisation de certaines actions liées à la santé et plus particulièrement à la santé de l’enfant et de la femme.

Dire que la région croule sous le poids de la tradition, c’est encore méconnaître Kolda. Nous sommes certes ancrés dans nos traditions, dans notre culture, mais en fait, nous sommes ouverts et nous appartenons à ce pays qu’on appelle le Sénégal

Au niveau régional, l’implication est assez faible mais je vous rappelle que nous participons aussi au conseil d’administration de l’hôpital régional où nous sommes membres de droit.

Ne pensez-vous pas que le fait d’assurer aux femmes des soins de santé de qualité pourrait avoir un impact significatif sur le développement économique de votre région?

La femme est un agent économique de taille. Quand la femme est mise dans les conditions de travail, elle peut s’occuper de la famille. Aider la femme, c’est aider à assurer une bonne éducation aux enfants. Aider la femme, c’est aider à une meilleure prise en charge des difficultés et des problèmes liés à la vie familiale. Aider la femme, c’est aider toute une nation. Donc la femme est au début et à la fin du processus de développement. Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas de trop que de penser à améliorer les conditions de vie des femmes. Cela aura un impact au niveau familial. C’est une urgence  pour les élus. C’est une nécessité pour les collectivités territoriales. On n’aura pas investi de trop si on prenait entièrement la femme en charge. Nous sommes dans une région où la femme est un acteur économique de taille.

Crédit photo: WATU Digital Lab

Ibrahima Diaby

Ibrahima Diaby est le secrétaire général du conseil départemental de Vélingara.

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