Les entretiens de WATHI – La diaspora du Sénégal – Focus Europe
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Extraits
En France, comment les étudiant(e)s sénégalais(es) ont-ils ressenti la crise de la COVID-19?
En France, je dirais qu’au même titre que les autres étudiants qui viennent des autres pays d’Afrique, les étudiants sénégalais ont aussi subi de plein fouet la crise sanitaire et cela se comprend logiquement. Du jour au lendemain, toutes les activités économiques se retrouvent à l’arrêt. Tout le monde est confiné. Du point de vue économique, les étudiants sénégalais l’ont bien ressenti d’autant plus qu’ils constituent d’habitude des soutiens de famille. Ils contribuent financièrement à la vie de leurs familles au Sénégal.
Aussi bien les étudiants qui sont à l’étranger ont senti la crise, aussi bien les familles qui sont au pays l’ont bien sentie. Déjà, de façon générale, on considère que les étudiants sont dans des conditions précaires. Avec l’arrivée de cette crise qui arrête soudainement toutes les activités économiques, il n’y a plus de ressources financières qui entrent et c’est un coup dur pour les étudiants. Et les conséquences sont encore en train d’être subies par cette catégorie de population.
Autour de vous, quel est le regard qui était porté sur le Sénégal durant cette période?
Je ne parle pas du regard des Sénégalais mais plutôt des étrangers et des Français qui vivent autour de moi et avec qui je partage mon quotidien. Je pense qu’ils avaient plutôt un « œil de pitié », pas que pour le Sénégal, mais pour tout le continent africain. D’autant plus que l’Organisation mondiale pour la santé prédisait des milliers de morts sur le continent africain au bout de deux ou trois mois de crise sanitaire. Ce qui n’a pas du tout été le cas.
Du coup, au quotidien, mes collègues et les gens avec qui je vis ici avaient l’habitude de me poser des questions comme : «Alors, vous êtes à combien de cas?» «Vous êtes à combien de contaminations?» «Vous êtes à combien de décès?». Je sais que derrière cette question, c’était plutôt pour me dire «Faites gaffe, cela va venir».
Ce qui est tout à fait compréhensible d’autant plus que nous avons un système sanitaire fragile. Nous avons une société qui repose essentiellement sur les interactions sociales. Il y a l’existence des petits commerces dans les coins et recoins des rues du Sénégal. Effectivement, cela pourrait faciliter la contamination et la propagation du virus. Sans oublier le manque de sérieux et de prise en compte efficace des mesures barrières et le manque d’une gestion étatique appropriée par rapport à notre contexte culturel, sociologique.
Ce qui constitue un obstacle à la participation des jeunes de la diaspora au développement du Sénégal est un manque d’accompagnement de la part de l’État
Tous ces éléments font que finalement, l’Afrique avait attiré l’attention et attire jusqu’à présent l’attention des uns et des autres durant cette période de crise. Peut-être que les prévisions n’ont pas été atteintes mais je pense que pour l’Afrique de façon générale, et pour le Sénégal en particulier, la crise de la Covid-19 n’est pas encore finie. En France ou en Espagne, on parle encore d’éventuel re-confinement mais au Sénégal, ça va être difficile d’éradiquer définitivement cette maladie.
Le Gouvernement du Sénégal a fait de la diaspora un axe majeur de son plan de riposte contre la COVID-19. Une enveloppe de 12,5 milliards de FCFA a été programmée pour accompagner les Sénégalais de l’extérieur victimes de la pandémie. Comment jugez-vous ces efforts en France?
L’État sénégalais a essayé de dégager des fonds pour venir en aide aux personnes victimes de la crise sanitaire. L’effort est à saluer même si la démarche reste peu pertinente et peu efficace. L’initiative est bonne mais, de façon générale, on a un problème de procédés et de stratégie. Je ne parle pas seulement pour la France parce que ces fonds qui ont été dégagés ne visent pas spécifiquement que la France. Ces fonds visent tous les étrangers qui sont installés en dehors du Sénégal.
Donc, on va considérer que ce soit en Afrique, en Europe, aux États-Unis, en Asie, en Océanie, tous les Sénégalais qui y vivent devraient être aidés, secourus à travers l’octroi de ces fonds. Mais, je doute de la transparence dans la gestion de ces fonds et je doute également de la bonne distribution. Et la question que je me pose c’est si finalement, cette aide est arrivée à bon port?
L’initiative est bonne, mais la démarche n’était pas du tout appropriée. En France notamment, nous avons eu beaucoup de soucis de distinction des définitions et des critères d’allocation de ces aides. A qui on va les remettre ? D’autant plus que, comme cela se passe chez nous, nous sommes dans une société plus ou moins informelle même si nous vivons en France. Il est difficile aujourd’hui pour les représentations diplomatiques sénégalaises qui sont présentes dans les autres continents, en tout cas pour les représentations diplomatiques sénégalaises qui sont présentes en France, de pouvoir déterminer avec exactitude le nombre de Sénégalais qui vivent ici.
Peut-être que d’un côté les Sénégalais sont eux-mêmes responsables de cette situation. Mais c’est aussi parce que les administrations consulaires ne font pas ce travail de recensement, d’aller vers ces gens-là, de prendre en compte leurs demandes, leurs besoins au quotidien. Finalement, ces personnes ne ressentent pas le besoin d’être en relation avec ces consulats si l’administration leur tourne le dos, surtout quand ils sont en situation de besoin et d’extrême urgence. Je crois que l’effort d’une aide pour la diaspora est à saluer mais la démarche n’était pas du tout appropriée.
Y-a-t-il eu des initiatives pour toucher les Sénégalais en situation irrégulière présents en France?
Nous avons abordé cette question de prise de contact avec ces personnes qui sont en situation irrégulière en France. Mais l’idée, c’était de se rabattre sur les « dahiras » qui sont des cercles religieux et confrériques, ou faire un travail de terrain. Le travail de terrain n’a pas été fait. L’autre option, c’était de passer par les associations mais c’était compliqué parce que tous les Sénégalais ne sont pas forcément membres d’une association.
Les administrations consulaires ne font pas ce travail de recensement, d’aller vers ces gens-là, de prendre en compte leurs demandes, leurs besoins au quotidien. Finalement, ces personnes ne ressentent pas le besoin d’être en relation avec ces consulats si l’administration leur tourne le dos
Le cas des Sénégalais en situation irrégulière est une difficulté qui existe depuis bien longtemps et constitue une problématique majeure qui aurait dû être réglée depuis des années. Pour un État sérieux qui considère et qui travaille en collaboration avec la diaspora sénégalaise, compte tenu des efforts économiques fournis par celle-ci au Sénégal, il est important d’avoir des chiffres exacts sur le nombre de Sénégalais qui vivent à l’étranger, notamment en France, avec qui nous entretenons des relations diplomatiques assez proches.
Je n’ai pas vu des initiatives pour aller recenser ces personnes en situation d’irrégularité et je crois que c’est aussi un des biais de la démarche utilisée pour distribuer l’aide d’urgence attribuée à la diaspora.
Au sein de l’ONG Focus, vous avez lancé une campagne d’information en faveur de la transparence dans la distribution de cette aide pour la diaspora en France. Que retenez-vous de la gestion de cette aide jusqu’à présent?
Au sein de l’ONG Focus, qui traduit le Forum des citoyens et usagers et que j’ai l’honneur de présider, nous avons essayé de dérouler une campagne d’information et de sensibilisation des personnes qui vivent à l’étranger sur les fonds et sur les octrois. Mais nous étions plus focalisés sur le public étudiant. À cet effet, nous avons organisé une émission avec le chef de service de gestion des étudiants sénégalais qui vivent à l’étranger pour parler des critères d’attribution, du processus de sélection des dossiers, de la durée que cela prendrait, le montant de l’aide.
Nous avons essayé de recenser l’ensemble des questions susceptibles d’être posées par les étudiants eux-mêmes et, à travers l’émission, nous avons eu le privilège d’adresser directement ces questions au chef de service qui nous a donné des chiffres et qui continue à nous donner des chiffres évolutifs.
Il est important d’avoir des chiffres exacts sur le nombre de Sénégalais qui vivent à l’étranger, notamment en France, avec qui nous entretenons des relations diplomatiques assez proches
Mais ce que je retiens de cette gestion, c’est que cela a été fait «à la va-vite», de telle sorte que même les étudiants qui étaient censés être aidés n’ont pas reçu ces aides. Je connais des étudiants qui ont par exemple fait la demande et qui, jusqu’à présent, n’ont pas eu de réponse. Je crois que c’est aberrant. Le minimum, quand on demande à des gens de candidater ou quand on demande à des gens de s’inscrire via une plateforme, d’envoyer des dossiers, etc., c’est que, même en cas de refus, l’on fasse une réponse à ces demandeurs-là. Ce qui n’a pas du tout été le cas. Soit l’étudiant est bénéficiaire et il reçoit l’argent directement dans son compte, soit-il ne reçoit même pas de réponse après avoir envoyé tous les documents nécessaires qu’on lui a demandé. Encore une fois, c’est un problème d’organisation et de méthode.
Cela a été fait «à la va-vite» certes parce qu’on était en situation d’urgence. Il s’agit là d’une aide d’urgence pour les personnes qui avaient vraiment besoin de cela pour survivre. Ce sont par exemple des étudiants qui, souvent, n’ont pas de bourses et qui travaillent sur un nombre d’heures limitées et, du coup, ont un niveau de revenu très limité. Mais je pense qu’en fait, la gestion n’était pas du tout efficace et aujourd’hui, nous n’avons pas les chiffres définitifs sur combien d’étudiants au total ont été aidés? À quelle hauteur du point de vue financier, etc.? Ce travail de transparence devrait permettre, tout au long du processus, de pouvoir fournir des chiffres exacts et répondre aux demandes des uns et des autres et motiver les refus. Mais au sein de la cellule ou de la commission qui a attribué ces aides, il y avait un système de classement de dossiers qui fait que ceux qui ne pouvaient pas avoir accès à ces aides n’ont pas eu de retour jusqu’à présent.
Sept mois après le début de la pandémie, toutes les nations se préparent à la situation d’après COVID-19. Dans ce sens, quel rôle la jeunesse de la diaspora sénégalaise peut-elle jouer ?
À mon avis, il n’y a pas un rôle spécifique qui est assigné à la jeunesse de la diaspora. Je crois qu’au même titre que ceux qui sont au Sénégal ou qui sont en dehors du Sénégal, les jeunes d’aujourd’hui devraient se rendre compte de l’évidence. Et cette évidence n’est rien d’autre que le travail aujourd’hui ne se donne pas.
J’aborde l’aspect économique avec le travail parce que c’est un des problèmes majeurs de notre pays. Le problème du chômage est une question qui mérite une attention particulière. Aujourd’hui, les jeunes, que ce soit ceux qui sont au Sénégal ou à l’extérieur du pays, devraient entreprendre davantage. Je considère qu’aujourd’hui, le travail ne se donne pas, il se crée plutôt, ou bien il s’arrache. C’est à dire qu’il faut réunir les conditions et faire en sorte que ce que nous proposons constitue une demande. Et réfléchir en fonction de l’évolution de la société et des demandes qui évoluent également. Se dire par exemple « Ah, je vois une opportunité d’affaires, un secteur d’activité qui, dans deux ans, dix ans, quinze ans, vingt ans, trente ans, pourra porter ses fruits. » Et pour cela, il faut beaucoup de patience.
La gestion n’était pas du tout efficace et aujourd’hui, nous n’avons pas les chiffres définitifs sur combien d’étudiants au total ont été aidés? À quelle hauteur du point de vue financier, etc.?
Il n’y a pas un rôle spécifique qui est dédié à la jeunesse de la diaspora sénégalaise mais c’est à tous les jeunes Africains, à tous les jeunes Sénégalais, de s’engager économiquement et de nourrir un certain patriotisme économique. Cela ne veut pas dire qu’on va boycotter les autres produits mais, par exemple, je m’inscris dans le contexte de l’arrivée des grandes surfaces occidentales au Sénégal notamment Carrefour, Auchan, etc.
J’ai remarqué un certain engouement des jeunes vers ces produits occidentaux oubliant ou bien ignorant derrière qu’ils sont en train de tuer l’économie locale. A travers notamment cette dame qui a, au coin de la rue, son étal et dont la valeur des marchandises, par exemple, ne dépasse pas les dix mille francs CFA mais qui parvient quand même à subvenir aux besoins de sa famille au quotidien et à survivre.
Aujourd’hui, on devrait pouvoir conscientiser les jeunes. Cela ne s’inscrit pas forcément dans le cadre de la Covid-19. Que ce soit avant ou après ça, le patriotisme économique et nationaliste est une conscience collective que devraient porter tous les jeunes Africains, tous les jeunes Sénégalais.
On observe spécialement une grande volonté des jeunes de la diaspora à contribuer au développement du Sénégal? Quels sont les obstacles pour que cette participation de la jeunesse de la diaspora soit effective?
Aujourd’hui, ce qui constitue un obstacle à la participation des jeunes de la diaspora au développement du Sénégal est un manque d’accompagnement de la part de l’État. Je connais beaucoup de jeunes qui sont en France et qui, à un moment donné, ont décidé de rentrer au Sénégal pour créer une entreprise. Mais au bout de deux ans, c’est des projets qui tombent à l’eau, qui tombent dans l’oubli. Ces jeunes sont obligés de revenir en France ou de repartir dans des pays étrangers pour continuer leur activité professionnelle.
Le patriotisme économique et nationaliste est une conscience collective que devraient porter tous les jeunes Africains, tous les jeunes Sénégalais
A ce niveau-là, le problème n’est pas économique parce que je crois qu’il y a des dispositifs de financement qui existent, il faut juste avoir la bonne information. Il ne s’agit pas non plus d’un problème technologique parce que les jeunes portent en eux-mêmes les solutions technologiques. Ils sont nés avec et ils grandissent avec. A mon avis, il s’agit plutôt d’un problème politique.
Quand je dis politique, c’est qu’aujourd’hui, l’État sénégalais devrait encourager ces initiatives de retour au pays, les accompagner dans la réalisation des projets, leur faire confiance en leur octroyant des marchés et essayer de leur donner un coup de pouce dans un premier temps, les accompagner sur tous les plans. C’est de cette manière qu’on peut créer de l’emploi parce que cela relève finalement du secteur privé. Il faut permettre aux jeunes de pouvoir créer une entreprise après leurs études au Sénégal, ou de rentrer au pays pour créer son entreprise afin de pouvoir embaucher des gens. Mais il faut aussi être sûr que derrière, nous avons l’accompagnement, la sécurité et la confiance de la classe dirigeante.
Source photo : Watu Digital Lab & Sunu Nataal
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