Babacar Sow, Enseignant: « Il faut décréter une année blanche. Il y va de l’intérêt de l’école sénégalaise. »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Série Covid-19 – Focus Kolda

Babacar Sow

Babacar Sow est enseignant dans le département de Médina Yoro Foulah dans la région de Kolda. Il est originaire de Kaolack où il préside la Ligue des bonnes volontés de Kaolack.

Cet entretien fait partie de la série de podcasts de WATHI sur la crise de la Covid-19 dans les régions du Sénégal.

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Extraits

Dans son discours à la nation du 11 mai 2020, le président Macky Sall a annoncé la réouverture des salles de classe sur toute l’étendue du territoire pour les élèves en classe d’examen. Quelles seront les conséquences pour les élèves et enseignants des écoles de Médina Yoro Foulah?

La décision du président Macky Sall d’ouvrir les écoles à partir du 2 juin peut être plus que préjudiciable pour les enseignants et élèves vivant dans d’autres régions que Dakar. C’est inadmissible et incompréhensible d’avoir fermé les écoles à moins de 20 cas et vouloir les ouvrir aujourd’hui à plus de 2000 cas tout en sachant que le danger est là et plus que permanent. Comment pourront-ils convoyer les enseignants dans les zones reculées du pays qui habitent Dakar, Mbour, Thiès, Kaolack vers des départements comme Médina Yoro Foulah ? Comment pourront-ils s’assurer que ces enseignants ne sont pas atteints par le virus, car venant des zones infectées?

Le président a parlé du dispositif « Apprendre à la maison » dédié aux élèves hors classe d’examen qui ne se déplaceront à l’école. Comment ce dispositif sera-t-il mis en œuvre à Médina Yoro Foulah?

C’est une chose qui s’annonce très difficile, voire impossible dans des zones comme Médina Yoro Foulah. Comment pouvez-vous demander à un élève de rester à la maison alors qu’il n’a pas de télévision, encore moins Whatsapp. Dans le département de Yoro Foulah, seul le chef-lieu de département est électrifié. Tous les autres villages ne le sont pas, alors la télévision fera défaut. Certains me diront les panneaux solaires, mais c’est sans savoir que Médina Yoro Foulah est l’un des départements les plus pauvres du Sénégal et les plus délaissés. Difficile de voir un élève avec un téléphone portable. Même si certains en ont, le réseau leur fait défaut pour recevoir les cours.

A votre avis, quelles sont les mesures à prendre pour gérer l’impact de la crise de la Covid-19 dans le secteur de l’enseignement au Sénégal?

Décréter une année blanche pour plusieurs raisons. Parce qu’au moment où l’on parle, les élèves sont à 1/3 de leurs programmes en cinq ou six mois de cours. Comment pourront-ils apprendre les 2/3 restants en deux mois de cours? D’autant plus qu’ils ont pris 3 mois de vacances. Alors, les enseignants devront prendre un mois de révision pour remettre les élèves au niveau. Soit on va vers des évaluations très allégées ou bien on va vers un taux d’échec jamais observé au Sénégal.

Comment pouvez-vous demander à un élève de rester à la maison alors qu’il n’a pas de télévision, encore moins Whatsapp. Dans le département de Yoro Foulah, seul le chef-lieu de département est électrifié

Pour les autres élèves, je ne peux pas comprendre qu’un élève qui fait la 4e, qui n’a fait que son premier semestre, reste à la maison. Il n’a pas les moyens d’apprendre à distance. Il n’a pas les moyens de suivre les cours. L’année prochaine, on le laisse faire la 3e. Comment aura-t-il le niveau tout en sachant que les classes préparatoires, surtout le second semestre, permettent aux élèves d’ être au diapason pour la classe d’examen ? Et là, tel ne sera pas le cas. Alors, dans l’avenir, le niveau de nos enfants, le niveau de nos élèves laissera à désirer et ils auront d’énormes problèmes à franchir le cap.

En décrétant une année blanche, on porte préjudice aux parents d’élèves qui ont déjà payé une partie des frais de scolarité dans des écoles privées. Quelles solutions pensez-vous qu’il faut mettre en œuvre pour résoudre ce problème?

On propose à l’État d’alléger leurs modes de paiement pour l’année prochaine. L’État peut payer les 80%, voire les 70% de la scolarité de leurs enfants dès l’année prochaine. C’est très facile et il est possible de pouvoir les répertorier vu qu’ils sont tous enregistrés à l’école.

Les élèves sont à 1/3 de leurs programmes en cinq ou six mois de cours. Comment pourront-ils apprendre les 2/3 restants en deux mois de cours?

Beaucoup de personnes se demandent ce qui justifierait de fermer les écoles d’un côté alors que de l’autre côté les mosquées et les marchés seront ouverts. Que répondez-vous à cela?

Les choses ne sont pas les mêmes. L’État a les moyens et les prérogatives de décréter une année blanche sans consulter ni chefs religieux ni chefs de famille parce qu’il y va de l’intérêt de nos enfants, parce qu’il y va de l’intérêt de l’école sénégalaise. Mais pour les mosquées, on a des réalités que nous devons respecter. Ces réalités sont que nos chefs religieux ont un mot à dire dans ce pays et leur mot pèse très lourd. L’État, même s’il ne le veut pas, a choisi de respecter l’avis des chefs religieux. C’est une obligation.

L’État a les moyens et les prérogatives de décréter une année blanche sans consulter ni chefs religieux ni chefs de famille parce qu’il y va de l’intérêt de nos enfants, parce qu’il y va de l’intérêt de l’école sénégalaise

A part ça, le Sénégal est un pays pauvre. On ne peut pas fermer les marchés, on est obligé d’aller au marché pour survivre parce qu’au Sénégal, ce sont les loumas (marchés hebdomadaires*) et les marchés qui font que les pères de famille gagnent leur vie. Alors, ce n’est pas comparable.


Source photo : Watu Digital Lab

1 Comment

  • Posted juillet 5, 2020 le scorpion 3:52

    la reouverture des classe n’a pas été une bonne idée

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