Bécaye Cissokho Ndiaye, Etudiant en Chine: « Il y a un abandon des mesures barrières au Sénégal. En Chine, cela nous inquiète car nous savons ce que le virus est capable de faire »

Les entretiens de WATHI – Covid-19 et diaspora du Sénégal – Focus Chine

Bécaye Cissokho Ndiaye

Bécaye Cissokho Ndiaye est doctorant en génie civil à Beijing University of Aeronautics and Astronomy en Chine. Il a également été le président de l’Association des étudiants sénégalais en Chine.

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Extraits

En janvier 2020, la situation des treize étudiants sénégalais mis en quarantaine à Wuhan, l’épicentre de la Covid-19 en Chine, a été l’un des faits marquants de l’actualité au Sénégal concernant la pandémie. Six mois après, comment la situation a-t-elle évolué pour ces étudiants?

La situation s’est beaucoup améliorée pour les étudiants sénégalais à Wuhan. Le principal motif de stress fut le confinement mis en place dans la ville. Actuellement, la ville est ouverte de nouveau, même si les universités sont toujours confinées. Mais, ils ressentent moins de pression. Nous pouvons dire qu’ils sont dans la même situation que nous tous étudiants en Chine. Toutes les universités sont souvent confinées localement. Donc, on est libre de se mouvoir dans l’université, mais on ne peut pas sortir de l’enceinte de l’université. C’est la seule différence.

Bien que les étudiants sénégalais à Wuhan aient été au centre de l’actualité, il existe, en dehors d’eux, une communauté sénégalaise en Chine. Quels ont été les impacts de la crise de la Covid-19 sur ces Sénégalais?

La crise a eu un impact dans la vie de tous les Sénégalais basés en Chine et quelle que soit la communauté à laquelle ils appartiennent. Il y a généralement trois communautés ici : les étudiants, les commerçants et les diplomates. Pour les étudiants, la crise a entraîné le confinement dans les universités. Le confinement était automatique et aucun étudiant ne pouvait se déplacer à travers la Chine. Les étudiants qui ont voulu retourner au Sénégal tout au début de la crise se sont vus interdits le retour. Les frontières sont fermées. Ces étudiants-là ont été obligés pour certains de reporter leurs bourses à une autre année ou bien de suivre les cours à distance, ce qui n’est pas toujours évident. Pour les autres communautés à savoir les commerçants, beaucoup ont vu leurs activités être arrêtées pendant quelques mois à cause de la crise et des mesures prises. Cela a eu un impact très grand sur leurs vies et leurs activités.

La seule leçon à tirer c’est de donner plus de moyens aux autorités diplomatiques surtout en temps de crise

La crise a pris de court les missions diplomatiques de plusieurs pays, celle représentant le Sénégal en Chine y compris. Avec tous les rebondissements qu’il y a eu, comment évaluez-vous les forces et les faiblesses de la gestion de la crise par l’ambassade du Sénégal en Chine?

La crise n’a pas été facile à gérer. Depuis le début, nous essayons de travailler avec les autorités sénégalaises à savoir l’ambassade qui a essayé d’apporter son soutien dans les limites de son pouvoir et de ses prérogatives. Ce qui est compréhensible. Ils ont essayé à leur niveau de réconforter et d’apporter des solutions à nos différents problèmes à défaut de les transmettre à l’autorité supérieure.

Maintenant si nous avons à évaluer les forces et les faiblesses de l’action diplomatique, cela serait un peu compliqué parce qu’ils ont peut-être des limites. Seulement, je soulèverais comme faiblesse la coordination entre l’autorité diplomatique en Chine et celle au Sénégal. Dès fois, nous sentons que ce n’est pas assez fluide comme nous aimerions l’avoir.

Ce que nous avons noté, c’est qu’au début, il y a eu peut-être une volonté de bien faire, mais les gens se sont lassés très vite

Sur l’évaluation des forces, je dirais que l’ambassade est très proche des Sénégalais et des étudiants plus particulièrement. Cela nous a permis d’avoir un soutien moral de taille, surtout la communauté qui était à Wuhan. Cela les a aidés à pouvoir surmonter ce problème.

Quelles leçons peut-on en tirer pour mieux préparer les représentations diplomatiques du Sénégal à protéger leurs ressortissants en temps de crise?

La seule leçon à tirer c’est de donner plus de moyens aux autorités diplomatiques surtout en temps de crise.  Il y a des choses que seule l’autorité diplomatique peut comprendre parce que chaque localité a ses réalités. Par exemple, la Chine est très différente de tout autre pays. Il y a des réalités spécifiques que l’on retrouve en Chine. Donc, si on donne plus de moyens aux autorités diplomatiques, peut-être qu’ils pourraient faire plus.

Vous résidez en Chine laquelle donne l’image d’un des pays les mieux préparés à contrôler la Covid-19. Avec le recul, quel regard portez-vous sur la gestion de la crise au Sénégal?

La gestion de la crise au Sénégal n’a vraiment pas été à la hauteur des attentes. D’autant plus que nous avions le temps de bien nous préparer. Ici en Chine, les étudiants avaient donné l’alerte très tôt et le Sénégal était au courant de tout ce qui s’est passé ici, et comment le virus gagnait du terrain. Donc, nous avions vraiment tout le temps de bien nous préparer et de mettre sur pied un plan de riposte à la hauteur de la gravité de ce virus.

Si on prend la ville de Dakar, qui est globalement le centre de l’épidémie, une quarantaine globale de la ville, pourrait vraiment limiter les dégâts et permettre aux agents de santé de ne pas être débordés

Malheureusement, ce que nous avons noté, c’est qu’au début, il y a eu peut-être une volonté de bien faire, mais les gens se sont lassés très vite. Et cela, il faut le déplorer. Actuellement, il n’y a presque plus de mesures barrières alors que les cas de Covid-19 et les morts s’accumulent. Cela nous inquiète nous qui sommes en Chine et qui savons ce que le virus est capable de faire.

En tenant compte des contextes différents, quelles sont les mesures efficaces de riposte contre la Covid-19 que vous observez en Chine et qui pourraient être répliquées au Sénégal?

Les mesures prises par la Chine dont nous pouvons nous inspirer sont nombreuses, à commencer par les gestes barrières, le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale. Ce sont les mesures les plus efficaces dans la vie de tous les jours. L’autre mesure serait le confinement ciblé c’est à dire le confinement des villes au lieu du confinement global. En Chine par exemple, avec le cas de Wuhan, la ville a été totalement isolée.

Au Sénégal, on pourrait nous en inspirer comme nous ne pouvons pas confiner les gens dans leurs maisons parce que nous sommes un pays pauvre. Il ne faut pas oublier cette réalité que les gens ont besoin de mener leurs activités pour survivre. Donc, le confinement d’une ville pourrait être envisagé. Et dans ce cas, l’État va gérer les entrées et les sorties et essayer de faire en sorte que cette ville soit bien approvisionnée. Ce qui constituerait le seul souci. Cela pourrait limiter localement les transmissions.

Les mesures prises par la Chine dont nous pouvons nous inspirer sont nombreuses, à commencer par les gestes barrières, le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale. Ce sont les mesures les plus efficaces dans la vie de tous les jours

Par exemple, si on prend la ville de Dakar, qui est globalement le centre de l’épidémie, une quarantaine globale de la ville, pourrait vraiment limiter les dégâts et permettre aux agents de santé de ne pas être débordés parce que c’est tout ce qui nous reste. Si le système de santé craque, ce sera l’hécatombe. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix.

 


Source photo : Watu Digital Lab & Sunu Nataal

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