Ousmane Cissokho, Étudiant réalisateur au Maroc: « Ici, le milieu de l’enseignement supérieur est stable et il n’y a pas beaucoup de grèves »

Les entretiens de WATHI – La diaspora du Sénégal – Focus Afrique du Nord

Ousmane Cissokho

Ousmane Cissokho est un jeune auteur Sénégalais. Né à Fatick, il a passé sa jeunesse à Thiès. Après trois années d’études en Sciences juridique et politique, il s’est inscrit à l’école supérieure des arts visuels de Marrakech pour devenir réalisateur. En 2018, il publie chez l’Harmattan «l’Incorrigible Épouse et les Hommes Corrigés».

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Extraits

Vous êtes étudiant à l’École supérieure des arts visuels de Marrakech. Vous êtes aussi écrivain et vous préparez le lancement de votre autobiographie intitulée «un Afro au Maroc». Quelles sont les conditions de vie des étudiants sénégalais installés au Maroc?

Concernant les conditions dans lesquelles les étudiants sénégalais vivent, sur le plan scolaire, je les trouve assez favorables parce qu’il n’y a pas beaucoup de grèves. Le milieu de l’enseignement supérieur est assez stable. Donc mener des études tranquillement au Maroc, c’est possible et, la plupart du temps, c’est ce qui se passe.

Pour ce qui est de la vie sociale, c’est peut-être là où il peut y avoir des choses à dire mais les expériences vont diverger selon les personnes. Je sais seulement que, par exemple, pour trouver un logement, c’est extrêmement difficile parfois pour les étudiants mais aussi pour les gens qui viennent ici pour travailler ou qui viennent à l’aventure. Il y a beaucoup de questions que cela pose. C’est d’ailleurs en cela que l’Association des étudiants est très efficace parce qu’elle peut aider pour trouver des logements, elle peut aider pour l’hébergement des étudiants qui viennent d’arriver.

Y-a-t-il des différences marquantes entre les étudiants dans le public et ceux dans le privé?

La différence entre le public et le privé, c’est généralement le fait qu’il y a beaucoup plus d’étudiants sénégalais qui sont dans le public. On en trouve plus rarement dans le privé. Parfois, quand on a des problèmes à régler, on peut ne pas savoir vers qui se tourner par exemple. En ce qui me concerne, quand je venais au Maroc, n’étant pas du public, j’ai eu peut-être un peu plus de difficultés à contacter les étudiants qui sont dans le public et qui étaient majoritairement dans l’Association des étudiants sénégalais au Maroc, etc. Aussi, pour réunir les papiers afin d’avoir une carte de séjour, cela peut être beaucoup plus simple quand on est dans le public que quand on est dans le privé.

Mener des études tranquillement au Maroc, c’est possible et, la plupart du temps, c’est ce qui se passe

Avec les activités organisées dans le cadre de l’Association des étudiants ici, qui est l’Union générale des étudiants et stagiaires au Maroc (UGESM), on se voit régulièrement et on devient de plus en plus solidaire. Pour ce qui est des bourses aussi, les étudiants qui sont dans le secteur public sont peut-être beaucoup plus soutenus que les étudiants qui sont dans le privé. Ils ont quand même la bourse de l’Agence Marocaine de Coopération Internationale (AMCI) ainsi que la bourse de l’État du Sénégal. Ce qui n’est pas le cas de ceux qui sont dans les formations privées.

En début de conversation, vous avez parlé des Sénégalais qui viennent à l’aventure au Maroc. Parmi eux, beaucoup vivent dans une situation de grande précarité comme à la Médina de Casablanca. Pouvez-vous nous en dire plus sur les conditions de vie de ces Sénégalais?

Le fait est que l’on peut être désabusé et déçu du voyage quand on vient au Maroc. C’est un pays où on peut venir sans avoir besoin de visa lorsque qu’on est ressortissant sénégalais. Quand on vient du Sénégal, on a tendance à penser que la pelouse du voisin est toujours mieux tondue. Quand on est au Sénégal, on peut s’imaginer qu’une fois sorti du pays, il n’y a plus de problèmes, on va trouver du travail. Ou bien, quel que soit le problème, cela ne sera pas pire que ce qui est vécu au Sénégal. Mais une fois qu’on arrive ici et qu’on convertit ses revenus, on se rend compte qu’en dirham, le franc CFA ne vaut plus rien pratiquement. Et cela ne va pas vous soutenir longtemps.

En plus, la plupart du temps, on est hébergé par quelqu’un qu’on connaît, qui ne va pas pouvoir nous héberger ad vitam aeternam. Il va falloir très vite être autonome et trouver du travail. Est-ce que c’est facile ? Est-ce que quand on trouvera du travail, on sera rémunéré facilement ? Est-ce que, même quand on sera rémunéré, ce qu’on va gagner sera suffisant pour à la fois subvenir à ses besoins sur place et envoyer de l’argent à la famille. La plupart de ceux qui viennent ici aspirent aussi à envoyer de l’argent à leurs familles au pays.

Quand je venais au Maroc, n’étant pas du public, j’ai eu peut-être un peu plus de difficultés à contacter les étudiants qui sont dans le public et qui étaient majoritairement dans l’Association des étudiants sénégalais au Maroc

Toutes ces questions nous interpellent quand on est étranger, quand on vient du Sénégal et qu’on vient pour travailler au Maroc. C’est toutes les questions que pose cette précarité dont vous parlez. Et ce n’est pas seulement à la médina de Casablanca. Il faut savoir que partout où vous allez, vous allez trouver les mêmes situations, vous allez trouver les mêmes profils. Il y en a beaucoup mais sans généraliser quand même.

Est-ce qu’il y a une vulnérabilité spécifique concernant les femmes sénégalaises qui vivent irrégulièrement au Maroc?

En effet, il y a des problèmes qui sont spécifiques aux femmes sénégalaises qui vivent au Maroc. En tant qu’étudiant en réalisation, il m’est arrivé de faire des documentaires sur les conditions que vivent nos sœurs qui sont là. Parfois, elles viennent avec leurs maris et leurs enfants, parfois elles se marient ici et elles ont des enfants. Mais ce qu’il faut savoir c’est que souvent, le Maroc est un pays de transit pour la plupart d’entre nous. Ce qui fait que certains vont trouver l’opportunité de partir dans un autre pays et vont laisser peut-être leur famille ici.

Il se pose alors un problème pour la femme qui va peut-être se retrouver dans une situation encore plus difficile, autant sur le plan personnel que celui financier. Elle pourrait être appelée à travailler et, dans ce cas, qui va gérer les enfants? Si elle était au Sénégal, il y aurait des parents qui allaient venir vous apporter une aide pour l’éducation des enfants. Mais hors du pays, il y a le problème du déracinement qui se pose. Par ailleurs, est-ce que l’enfant sera forcément reconnu comme un enfant d’ici?

Il y a aussi parfois des questions de mœurs qui vont se poser parce que, ne sachant pas quoi faire, certaines peuvent tout simplement faire des choix difficiles pour gagner leur vie. Donc, c’est une vraie question de sécurité qui se pose pour certaines de nos sœurs qui vivent au Maroc, malheureusement.

Il existe une association des ressortissants sénégalais résidant au Maroc, une union générale des étudiants et stagiaires sénégalais au Maroc mais aussi des dahiras . Comment s’organisent ces associations pour prendre en charge les préoccupations des Sénégalais vivant au Maroc?

Il y a en effet des associations. J’ai vu beaucoup de dahiras par exemple. Il y a des dahiras qui ne sont pas considérées généralement comme des associations comme les autres mais qui sont très solidaires et qui peuvent aider. Par exemple, quand on est dans une confrérie et qu’il y a un membre de cette confrérie qui vient au Maroc, on peut lui trouver un endroit où le loger jusqu’au moment où il sera autonome. Les dahiras jouent aussi un très grand rôle à ce niveau-là.

Souvent, le Maroc est un pays de transit pour la plupart d’entre nous. Ce qui fait que certains vont trouver l’opportunité de partir dans un autre pays et vont laisser peut-être leur famille ici

Il y a aussi l’association qui réunit les étudiants et stagiaires du Sénégal au Maroc. Cette association fait beaucoup pour trouver des logements aux étudiants qui viennent d’arriver. Cette association joue un très grand rôle pour l’intégration des étudiants au Maroc et aussi dans l’assistance dans les études. Elle permet d’avoir des «filleuls» par exemple, qu’on peut suivre ou bien à qui on peut donner des conseils en tant qu’ancien, et essayer de leur apporter une assistance dans leurs études ou dans tout ce qui est en notre pouvoir. Donc, c’est assez bénéfique et assez fréquent ici.

Quelles sont les limites de ces associations?

Il y en a forcément des limites. Il y a des domaines dans lesquels ces associations ne peuvent pas trop agir. Mais moi, à mon sens, ils en font déjà assez. Ils en font beaucoup et ils arrivent aussi à s’en sortir en quelque sorte. Mais je suis sûr qu’ils ne diraient pas non s’ils pouvaient être plus appuyés par les autorités compétentes.

C’est une vraie question de sécurité qui se pose pour certaines de nos sœurs qui vivent au Maroc

Qu’en est-il du consulat du Sénégal qui se trouve au Maroc?

Le consulat qui se trouve à Casablanca permet par exemple de renouveler notre passeport s’il venait à expirer. C’est un peu loin pour quelqu’un qui vit à Marrakech comme c’est mon cas.  Peut-être aussi que ce qu’il faut payer pour le renouvellement des passeports pourrait être revu à la baisse. Mais toujours est-il qu’on y trouve des personnes qui sont très accueillantes. On se sent un peu plus comme chez soi par rapport à l’ambassade où c’est un peu plus «froid», où on peut ne pas trouver forcément de réponses à nos questions.

Donc, à ce niveau-là, le consulat fait un travail qui convient aux gens qui sont là et cela apporte une aide et un soutien considérables.

Plusieurs Sénégalais parlent d’une discrimination raciale au Maroc. Est-ce quelque chose que vous ressentez en tant qu’étudiant?

Je n’aime pas vraiment parler de discrimination raciale. Je me sentirais en très mauvaise posture pour en parler et je trouve que je serai contredit par le fait d’avoir passé dans ce pays au moins trois années d’études. Cela veut dire que le climat est favorable à ce que je suis venu faire. A mon niveau, si j’avais toujours buté sur une vraie discrimination raciale ou bien si je l’avais ressenti très fortement, je ne serais pas resté jusqu’à présent. Donc, je trouve que c’est simpliste de parler de discrimination raciale et que c’est beaucoup plus complexe.

Il y a des dahiras qui ne sont pas considérées généralement comme des associations comme les autres mais qui sont très solidaires et qui peuvent aider

Peut-être qu’il faut produire une réflexion et savoir que ce à quoi nous pouvons être confrontés, c’est dû à l’ignorance parfois. C’est dû à l’ignorance de l’Afrique, des pays d’où nous venons et au manque de brassage parce qu’il n’y a pas trop de brassage non plus. Personnellement, on m’a demandé si là où nous vivons il y a des animaux sauvages qui sont autour de nous, c’est carrément le produit de l’ignorance de ce qu’est l’Afrique.

On réduit ce continent à la pauvreté, à beaucoup de problèmes, à la guerre aussi. Il ne faut pas résumer ce continent à cela. Il faut un travail de pédagogie. C’est un travail dans lequel j’essaie de m’inscrire avec mon livre. Les problèmes professionnels et sociaux de nos compatriotes qui sont ici peuvent être considérés comme des problèmes humains parce que partout, on aura quand même des problèmes.

Je trouve que les Sénégalais qui sont là sont «diplomatiques», ils prennent beaucoup sur eux, ils arrivent à supporter ce qu’ils peuvent supporter et savent aussi pourquoi ils sont là. Donc je pense qu’ils gèrent. Je ne peux pas réduire non plus les expériences en une seule expérience. Je sais que partout, il y en a qui sont dans un milieu presque «paradisiaque». Il y en a aussi qui peuvent être dans un environnement où c’est beaucoup plus hostile.

Dans votre livre un Afro au Maroc, vous parlez des termes que vous avez entendus pour la première fois en arrivant au Maroc, du rapport à l’autre et de la tolérance qui sont devenus des préoccupations grandissantes pour vous. Quels sont les évènements qui ont été à l’origine de ces réflexions?

En fait, j’ai eu l’idée d’écrire ce livre parce que j’ai pensé au fait que c’était mon premier voyage en dehors de mon pays. Peut-être que si j’étais allé en Côte d’Ivoire ou bien au Niger et que j’avais eu une expérience différente que celle que j’ai ici au Maroc, cela aurait été différent.

Personnellement, on m’a demandé si là où nous vivons il y a des animaux sauvages qui sont autour de nous, c’est carrément le produit de l’ignorance de ce qu’est l’Afrique

En effet, il y a eu des termes avec lesquels je n’étais pas très familier et que j’ai entendu sur place. Cela m’a fait beaucoup réfléchir et étant aussi auteur, cela m’a fait réfléchir en ce sens-là parce que les mots ont leur sens aussi. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qu’elle était un peu la sociologie qui se trouvait derrière ? Ou bien la mentalité qu’il y avait derrière ces mots-là ? Quelle est la nouvelle acception de ces mots-là ? Parce qu’on peut les entendre différemment selon qu’on soit ici ou ailleurs.

Aussi, se confronter au regard de quelqu’un qui nous voit comme un étranger n’était pas tout à fait ce à quoi j’ai été habitué. Je ne suis jamais sorti de mon pays et je suis rarement sorti de ma région. Donc c’était intéressant d’être confronté au regard de l’autre et d’être un étranger dans un pays que j’ai trouvé très intéressant. C’était un exercice intéressant de devoir revivre la même chose parce que c’est écrit trois ans après mon arrivée au Maroc. J’ai essayé de refaire ce parcours-là par les mots et de partager cela avec les potentiels lecteurs.

 


Source photo : Watu Digital Lab & Sunu Nataal

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